Si la retraite professionnelle ne met sûrement pas fin à l’œuvre, elle est l’occasion de mettre en avant la fécondité d’un parcours intellectuel, d’en discuter les tenants et les aboutissants, d’en explorer les prolongements. Les journées d’études que nous organisons les 29 et 30 mai se proposent de réunir autour d’Alain Boureau ceux et celles qui ont accompagné une recherche fortement ancrée dans l’interdisciplinarité et la pratique collective, pour en montrer les apports scientifiques et les perspectives intellectuelles.Il s’agit de créer un lieu de discussion entre les lecteurs et l’auteur lui-même, parfois à plusieurs décennies de distance, dans l’esprit de débat qui anime ses séminaires où se sont formées et confrontées plusieurs générations de chercheuses et de chercheurs.
La rencontre sera organisée sous forme de tables-rondes abordant chacun des grands chantiers ouverts par Alain Boureau. Les communications présentées dans ce cadre auront pour vocation de prolonger et de problématiser une question majeure dans l’œuvre d’Alain Boureau, de donner des clés de lecture, d’interroger tel ou tel aspect de l'œuvre et les possibles ainsi ouverts.
La première table-ronde aborde le champ de la scolastique médiévale. Alain Boureau l’a abondamment parcouru au cours des vingt dernières années, s’attachant à l’étude de textes connus et méconnus produits par les théologiens et les philosophes du Moyen-Âge. Partant des marges, des dissidences, des controverses et des censures (Théologie, science et censure au XIIIe siècle. Le cas de Jean Peckham), il a proposé une approche historique de ces sources spéculatives, dans le cadre de la notion de raison scolastique (L'Empire du livre. Pour une histoire du savoir scolastique ;Devagues individus. La condition humaine dans la pensée scolastique).
La seconde table-ronde s’attache au droit et à la royauté, deux objets fréquemment interrogés par Alain Boureau dans la longue durée médiévale et moderne des emblèmes politiques (L'Aigle. Chronique politique d'un emblème) et des formes de sacralité royale (Le Simple corps du roi. L'impossible sacralité des souverains français, XVe-XVIIIe siècles). Ses travaux mettent en avant l’arrière-plan théologique (La Religionde l’État. La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval) et chrétien des conceptions étatiques modernes (La Loidu royaume. Les moines, le droit et la construction de la nation anglaise).
La troisième table-ronde interroge les recherches d’Alain Boureau sur les légendes et les croyances médiévales, revenant sur l’immense dossier de la Légendedorée, entamé au début des années 1980 (La Légendedorée. Le système narratif de Jacques de Voragine) et abordé dans une approche novatrice d’analyse des modalités narratives médiévales. Cette approche des sources médiévales s’est poursuivie avec des travaux sur la prédication mendiante et les modalités du récit chrétien (L'Evénement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Age).
La quatrième table-ronde est consacrée aux liens étroits noués aux fils des années entre l’anthropologie historique et la psychanalyse (En somme. Pour un usage analytique de la scolastique médiévale). Au fil de ces études, notamment publiées dans la Nouvelle Revuede Psychanalyse et dansPenser/Rêver, Alain Boureau a dessiné les spécificités médiévales de la conception de l’individu, de la construction d’une grammaire des passions de l’âme ; il les a mises en rapport avec les savoirs et les pratiques de la psychanalyse.
La cinquième table-ronde traite du diable et des démons, personnages centraux de l’anthropologie scolastique, cas limites pour spécifier ce qu’est l’humain (Satan hérétique. La naissance de la démonologie dans l’Europe médiévale ; Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320). Suivant les interrogations des théologiens médiévaux sur le mal, l’historien a mis en avant l’importance de ces développements spéculatifs pour la construction d’une morale sociale.
La sixième table-ronde envisage la dimension expérimentale de la pratique historienne d’Alain Boureau, acteur du tournant critique des Annales au début des années 1990 et promoteur, avec d’autres, de formes alternatives d’écriture de l’histoire (Alter-Histoire. Essais d'histoire expérimentale). Parallèlement à son activité de médiéviste il a consacré plusieurs travaux aux questions historiographiques (Histoires d’un historien. Kantorowicz) ; son œuvre est traversée de questionnements épistémologiques vivifiants pour les sciences humaines et sociales.