9h – 10h15 - Dominique Schnapper (Sociologue, directrice d’études à l’EHESS) et Paul Zawadzki (Maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Paris 1 (GSRL))
A suivre Isaiah Berlin, J. G. Herder (1774-1803) « est vraiment le premier à insister sur le besoin d’appartenance à une communauté en tant que besoin fondamental, aussi nécessaire que la nourriture, la boisson, la chaleur, la sécurité… ». Au cœur de bien des polémiques, à commencer dès le XVIIIe s. par la critique de Kant, la pensée de Herder et sa réhabilitation du préjugé inaugure selon certains la réaction « anti Lumières », réactivée plus tard par la culture fasciste. Pour d’autres, sa philosophie de l'histoire marque bien d’avantage, sur certains points, un approfondissement des Lumières. Pour certains, il est l'un des pères du nationalisme allemand, voir le grand-père du nazisme. Pour d'autres, sa vision du génie propre et incomparable de chaque peuple est en affinité avec la critique de l'ethnocentrisme. J’aimerais dans cette brève communication revenir sur deux ou trois dilemmes ainsi ouverts dans la modernité autour de la question de l’appartenance à partir de ces discussions avec (ou contre) Herder.
Ce questionnement est toujours vivace aujourd'hui. Il apparaît que l'on n’appartient pas à une culture ouun groupe social qui existeraient indépendamment de l’activité des hommes, alors qu’ils en sont le produit. Il s’agit plutôt d’identification des individus aux divers groupes ou collectivités historiques dont ils sont issus, réellement ou mythiquement. La société moderne se définit précisément par la possibilité de transcender par la citoyenneté les « appartenances » à des groupes particuliers. Les sociétés démocratiques sont formées d’individus dont les rôles et les références sont multiples. Suivant les situations sociales et les circonstances historiques, ils choisissent constamment et remettent en question diverses formes de références et d’identifications.
10h15- 11h - Nécessité et contingence de la nationalité, Etienne Patault (Professeur de droit à l’Université de Paris 1)
Juridiquement, la distinction entre citoyenneté et nationalité est l'une des plus fuyante qui soit. Il y a une raison à cela : l’idée que l’Etat est la source naturelle du droit et que ce droit est d’abord et avant tout conçu pour les nationaux. Cette identification du droit et de l’Etat, d’un côté, et des destinataires de ce droit avec les nationaux, de l’autre, est pourtant aujourd’hui très profondément remise en cause. Cette remise en cause aboutit notamment à la renaissance en Europe d'un concept juridiquement opératoire de citoyenneté. Mais l'histoire, et notamment l'histoire coloniale, montre que ce qui émerge en Europe est un avatar de questions juridiques déjà anciennes.
11h – 11h15, Pause café
11h15 – 12h - De quelques cas observés à Madagascar (fin XIXè siècle - 1960), l’appartenance par le corps, Silvia Falconieri (Chargée de recherche au CNRS en histoire du droit, Université de Lille 2)
La question de l’appartenance à la Nation et de l’inclusion dans le groupe des citoyens avait acquis en situation coloniale une tournure particulière, dans la mesure où les spécialistes du droit étaient parvenus à élaborer un clivage entre citoyenneté et nationalité. Celui-ci reposait sur la perception de l’écart (culturel comme physique) qui sépare le Nous de l’Autre. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les administrateurs et les juristes spécialistes du droit colonial mobiliseront de plus en plus de données empiriques tirées de l’observation du corps (l’ « aspect physique », le « mode de vie », la langue ou, encore, l’éducation) pour définir la citoyenneté française. Nous étudierons plus spécialement le rôle des données corporelles dans des cas de naturalisation d’indigènes et d’accession à la citoyenneté française des personnes nées de parents inconnus à Madagascar.
12h – 12 h20 - L’articulation du statut personnel (coutumier) et du droit (civil) commun : du principe à la pratique Stéphane Pessina Dassonville (Maître de conférences HDR en droit privé à l’Université de Rouen)
Dans les départements d’outre-mer, soumis au principe d’assimilation législative, le droit applicable est par principe le droit commun. En revanche, pour une collectivité d’outre-mer sui generis comme la Nouvelle-Calédonie, c’est le principe de spécialité qui domine. Le droit commun n’est pas toujours applicable de plein droit et s’incline devant les coutumes de statut personnel kanak (concernant a minima le droit des personnes et de la famille) et les règles propres aux terres coutumières. Comment ces deux ordres juridiques à l’intérieur d’un même système cohabitent-ils en droit ?
12h20 – 12h45 Statut de droit particulier et revendications identitaires contemporaines, Alban Bensa (Anthropologue, directeur d’études à l’EHESS)
La population colonisée de Nouvelle-Calédonie, désignée par le terme hawaïen de Kanak, dispose dans la constitution française de 1958 d'un statut de droit particulier. Ce statut concerne les affaires foncières et matrimoniales. Il est distinct du statut de droit commun des autres habitants de la Nouvelle-Calédonie ou les Kanak qui ont voulu le rejoindre. Cette situation juridique bipolaire est à l'origine de revendications identitaires qui montent en puissance depuis une vingtaine d'années en Nouvelle-Calédonie. Nous tenterons de les cerner en les rapportant à ce statut dérogatoire aux règles habituelles de la République.
14 h 30 – 15 h 15 - Formes de l’allégeance à l’époque féodale, Olivier Bruand (Professeur d’histoire médiévale à l’Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II)
À l’époque féodale, les relations féodo-vassaliques sont une forme prégnante mais pas unique du lien social. D’autres formes d’engagement mutuel existent, comme les communautés villageoises, les métiers ou les confréries. Les premières sont caractérisées par la force du rituel qui les constitue où le serment de fidélité joue le rôle clé. Symboliquement, certains éléments du rituel manifestent une égalité et établissent une relation de paix entre les contractants. Cependant l’engagement réciproque instauré consacre en même temps une hiérarchie de droits et d’obligations. La relation hiérarchique qui se traduit par la dépendance des vassaux s’appuie sur l’association étroite de l’élément personnel à l’élément réel : le fief, le château, la terre. C’est pourquoi la relation personnelle inclut aussi la parenté, le lignage, et comporte le plus souvent l’hérédité du fief. L’allégeance vassalique implique aussi la possibilité de la sortie de l’engagement, les ruptures de la paix, la garantie de la sûreté associée parfois à la conclusion d’un litige.
15h15 – 16h - Modèles mafieux de l'allégeance : des rituels aux crimes, Déborah Puccio (Chargée de recherche en anthropologie au CNRS (LIER-Institut Marcel Mauss))
Comme le montre le rite d’initiation à l’organisation Cosa nostra, le modèle d’allégeance mafieux est un pacte de sang créant une forme d’appartenance prioritaire sur toutes les autres (famille, État, etc…). Ce lien se poursuit dans les pratiques meurtrières mafieuses, où l’individu agit et tue au nom d’une communauté (Cosa nostra). Ces modalités de l’action criminelle sont-elles compatibles avec les conceptions individualistes de la peine de l’institution judiciaire italienne ? Et que se passe-t-il lorsque les mafieux deviennent « collaborateurs de justice », stipulant un nouveau contrat avec l’État ?
16h – 16h15 Pause café
16h30 – 18h30 et +
Géopolitique contemporaine des allégeances à Al Quaeda et à l’Etat islamique, Mathieu Rey (Maître de conférences au Collège de France, Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe)
Les récents bouleversements au Moyen-Orient ont mis à mal les liens de loyautés unissant - ou mettant en relation l'Etat et ses membres. A travers le suivi des trajectoires étatiques de l'Irak et de la Syrie sur les dernières décennies du XXe siècle, il devient possible de comprendre une reconfiguration des attaches individuelles fondatrices des territoires politiques. Dans ce cadre, l'allégeance prend sens. Au croisement des crises politiques et des mutations sociales, se forment de nouveaux modèles politiques, qui constituent les soubassements de l'Irak et de la Syrie post-2011. L'Etat islamique ainsi inscrit dans son
contexte, exemplifie la renaissance d'un Moyen Orient, proche des observations développées par le sociologue Ali al-WArdi.
De quelques ressorts subjectifs de l’adhésion au jihadisme, Fethi Benslama (Professeur de psychopathologie clinique, Université Paris-Diderot Paris 7, UFR d’Etudes psychanalytiques)
Les deux tiers des jeunes qui se radicalisent en France et veulent répondre à l’appel au jihâd sont des jeunes dont l’âge est compris entre 15 et 25 ans, un quart étant mineurs. La grande majorité sont des adolescents ou bien dans la longue zone moratoire de l’accès à la maturité adulte qui caractérise la jeunesse moderne. Ces faits sont peu pris en compte pour penser les ressorts subjectifs qui conduisent à l’adhésion à l’offre jihadiste, et la stratégie de l’offre à cette population, fragile dans bien des cas.