L'expérience historiographique

Reid Hall  -  4, rue de Chevreuse  -  75006 ¨Paris

Du jeudi 23 mai 2013 à 14h30 au vendredi 24 mai 2013 à 18h


Les dernières décennies, marquées par la multiplication des échanges et des débats historiographiques bien au-delà des frontières nationales, ont progressivement vu la remise en cause d’un ensemble de convictions scientifiques fortes sur lesquelles les historiens avaient longtemps vécu. La discipline est entrée, à partir des années 1980, dans une période de turbulences et d’incertitudes, de crise pour certains. Si les interrogations épistémologiques et méthodologiques ont pris des formes différentes selon les contextes académiques, aucune tradition historiographique n’a été épargnée par la nécessité d’une réflexivité accrue. Pour une part, les questions ont été posées en interne, dans la pratique des historiens et dans les débats qui les opposent. Mais elles ont aussi été tributaires des transformations qui ont affecté en profondeur la perception de l’histoire dans l’espace public ainsi que les usages qui lui sont attachés. On aura reconnu dans ces évocations à la fois la remise en cause de la centralité de l’histoire sociale, les différentes approches culturalistes, les propositions de la microstoria, les débats soulevés par le linguistic turn, ou encore l’emprise des enjeux mémoriels.

L’histoire sociale, qui avait occupé une place centrale dans les années 1970, aussi bien en France qu’en Angleterre ou en Italie, est sans doute le domaine qui a été le plus fortement ébranlé. Non qu’elle ait disparu, comme on l’affirme trop souvent. Mais elle a été mise en question en tant que chantier cumulatif dans lequel les monographies pouvaient s’ajouter aux monographies et qui promettait à terme une couverture complète du monde social. Au grand projet sociographique s’est substituée une approche plus modeste, parfois plus expérimentale aussi, qui s’attache davantage aux pratiques de toutes natures en même temps qu’aux dispositions qui les commandent, à l’agency. Il en est résulté un certain nombre de conséquences. D’une part, la réflexion des historiens s’est portée, dans le sillage de la microstoria, sur la valeur heuristique du cas et sur les difficultés de la généralisation. D’autre part, la nouvelle histoire a mis à son agenda une histoire culturelle, dont on sait aujourd’hui l’importance et l’influence, avec toutes les recompositions dont elle a aussi pu faire l’objet, dans l’historiographie étasunienne. En outre, le rôle croissant des histoires et des historiographies non européennes a profondément redessiné l’agenda européen de la recherche historique : Inde, Chine ou Japon, pour l’Asie, Mexique, Pérou ou Brésil, pour l’Amérique latine ont été des laboratoires actifs de la production empirique, le plus souvent dans un dialogue étroit avec l’anthropologie, et de proposition théorique, des subaltern studies à la nouvelle histoire coloniale ou impériale.

Ainsi, aujourd’hui, si opposées qu’elles puissent paraitre, la micro-histoire, qui s’est donné pour tâche l’analyse intensive de cas singuliers, et la nouvelle histoire globale qui privilégie les phénomènes de circulation, les transferts et les connexions entre espaces différents, continuent à ébranler des certitudes qui paraissaient acquises et sont peut-être moins incompatibles qu’il n’y paraît. Elles nous ont du même coup obligé à poser certaines questions, à en reformuler d’autres : ainsi celles qui concernent les échelles d’observation et d’analyse du monde social, le rapport à la documentation ou encore la complexité des temporalités dans lesquelles s’inscrit l’expérience historique.

D’autre part, ce sont les procédures analytiques mises en œuvre ainsi que les catégories interprétatives et les modèles narratifs utilisés par les historiens qui continuent à faire l’objet d’interrogations insistantes depuis une génération. Pour en retenir un exemple, on sait que le linguistic turn n’a guère affecté les historiographies européennes – à l’exception notable de la Grande-Bretagne, et qu’en particulier il n’a guère été reçu en France (alors même qu’il était pour une part nourri de références théoriques françaises). Il s’agit sans doute là d’un ensemble de propositions inégales, parfois hétérogènes, et qui ont donné lieu à des formes de radicalisation et à des dérives polémiques. Il reste qu’en proposant de lire tout phénomène social comme un réseau de signes et de significations, il a eu pour effet de brouiller le partage qui pouvait paraître aller de soi entre histoire sociale et histoire culturelle. Dans toute une série de travaux, la dimension textuelle et discursive des traces de toute nature, est passée au premier plan des préoccupations historiennes même chez ceux qui récusaient les présupposés théoriques du linguistic turn.
On a souvent placé l’accent sur les excès et les désordres dont on rend responsables ces remises en cause. Mais, on peut aussi en retenir ce qu’elles nous ont apporté de positif : l’occasion qui nous a été donnée de réfléchir plus librement sur les opérations qui font le quotidien du métier d’historien et qui nous deviennent parfois si familières que nous finissons par considérer qu’elles vont de soi. Ce moment d’incertitude a aussi été un moment de plus grande réflexivité et d’expérimentation. C’est dans cet esprit que nous vous proposons de nous retrouver pour confronter nos expériences et ce que nous pensons, les uns et les autres, pouvoir en retenir.

Nous vous proposons de le faire autour d’un nombre restreint de thèmes, de façon à nous donner les chances d’une discussion approfondie.
Date
  • du jeudi 23 mai 2013 à 14h30 au  vendredi 24 mai 2013 à 18h
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