Histoire intellectuelle des émotions (de l’Antiquité à nos jours)
Reid Hall - Columbia University Global Center in Paris
-
4, rue de Chevreuse
- 75006 Paris
Les émotions ont longtemps été mal considérées dans les sciences humaines et sociales, et en histoire tout particulièrement. Si Lucien Febvre appelait déjà dans les années 1930 à « reconstituer la vie affective d’autrefois », son appel n’a guère suscité de vocations pendant des décennies. Depuis peu, l’intérêt des historiens s’éveille, en écho sans doute à l’élan des sciences voisines, désireuses de penser l’émotion voire de la regarder elle-même comme une forme de pensée. La psychologie cognitive, la philosophie analytique, les neurosciences tout aussi bien que l’anthropologie ont mis au jour le tissage serré qui unit indéfectiblement les émotions et la raison, ainsi que la production culturelle des affects.
Ce changement de perception, bien visible dans nos sociétés, bouscule jusqu’au regard sur le passé. Aujourd’hui que nous savons que les émotions sont culturellement produites, qu’elles sont à l’œuvre dans les processus de décisions rationnelles, c’est toute la trame historique qui est à reprendre.
Le programme EMMA a fait le pari d’une histoire des émotions qui se construise dans un dialogue avec les sciences humaines de l’émotion. Durant plusieurs années, nous nous sommes concentrés sur la période médiévale. Nous souhaitons désormais proposer un regard synthétique, sur la longue durée, qui interroge les discours savants sur les émotions dans le passé mais qui conduise aussi à questionner les sciences de l’émotion contemporaines. Ce colloque n’est pas un colloque d’histoire en un sens restreint mais un travail collectif de mise à l’épreuve de nos propres conceptions modernes sur les émotions à partir du passé.
L’objectif de ce colloque est donc de questionner l’historicité des discours théoriques sur l’émotion, à la fois dans une perspective synchronique (environnements social, culturel, politique, religieux etc.) et diachronique (explorer la généalogie des discours de l’émotion de l’Antiquité à nos jours). La démarche repose ainsi sur deux exigences préalables et complémentaires :
- L’histoire des émotions ne saurait exister en dehors d’un échange avec les sciences contemporaines de l’émotion, non dans le but de valider quelque « grille de lecture » mais parce que le dialogue entre les configurations d’hier et celles d’aujourd’hui délimite le cadre épistémologique de toute interprétation possible.
- De même, il est indispensable de replacer les sciences contemporaines de l’émotion dans leur histoire intellectuelle afin de prendre la mesure de la diversité des ramifications, de l’ampleur des interrelations et des liens inévitables avec les enjeux de société.
Parce que l’enquête doit poser en son point de départ une définition exploratoire, nous envisagerons l’émotion comme tout phénomène affectif transitoire, dans l’infinie diversité des ressentis possibles, qui participe à l’évaluation individuelle ou collective d’une situation vécue, voire la transforme. Mais une telle délimitation a priori n’a d’intérêt que si elle est appréhendée avec souplesse, sans la détacher des éclats furtifs du sensible en amont ou des états affectifs durables en aval. En outre, toujours dans une perspective heuristique, nous proposons de faire porter l’attention sur certaines caractéristiques de l’émotion qui ont fortement marqué la réflexion depuis l’Antiquité : les ressentis et leur valence, le rapport au corps, l’évaluation morale et cognitive, et l’engagement dans l’action.
Suivant ces impératifs, l’histoire intellectuelle de l’émotion apparaît à la fois comme le préalable et comme le premier volet d’une histoire globale de l’affectivité, elle-même enracinée dans un questionnement historique ouvert. Une telle approche généalogique, conduite sur la longue durée depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, devra naviguer au milieu de la diversité des notions historiques qualifiant le champ émotionnel : passion, affect, mouvement de l’âme, émotion, etc. Dans ce cheminement, l’histoire intellectuelle de l’émotion ne saurait être une juxtaposition plate selon la chronologie d’analyses des discours savants mais peut être définie comme une histoire sociale et culturelle des concepts et conceptions de l’émotion, attentive donc aux conditions de production des théories dans leur environnement. Les pensées singulières seront mises en perspective dans leurs contextes de réseaux, au cœur ou en rupture avec les cadres institutionnels , dans le souci de les relier au mieux aux enjeux sociaux, politiques ou culturels. Nous donnerons également une place importante aux perspectives comparatistes, à partir notamment de l’exemple de la Chine.
Les résultats du colloque seront publiés sous la forme d’un ouvrage collectif, en français et en anglais.
Date
-
du
jeudi 23 mai 2013 à 09h au
samedi 25 mai 2013 à 16h
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