Le cannibalisme dans le conte merveilleux grec

Questions d'interprétation et de typologie

EHESS, s. 9  -  105 bd Raspail  -  75006 Paris

Thèse soutenue par Emmanouella Katrinaki

Préparée sous la direction de Nicole Belmont

Président du jury : Mme Bernadette Bricout, Professeure à l'université Paris-VII

Jury : Madame Geneviève Calame-Griaule, Directrice de recherche au CNRS
Mme Marie-Elisabeth Handman, Maître de conférences à l'EHESS

Spécialité : Anthropologie sociale et ethnologie


Cette étude explore le thème de l'anthropophagie imaginaire dans le conte merveilleux grec de tradition orale. Elle est composée de sept chapitres qui correspondent à sept conte-types avec leurs enchaînements, dans lesquels le cannibalisme détermine le chemin initiatique des héros. Il s'agit des contes : Cendrillon (AT 510A), La soeur cannibale (AT 315A), Petit frère et Petite soeur (AT450), L'enfant dans le sac (AT 327C), Le Dekatris (le Petit Poucet grec, AT 327B+AT 328), La jeune fille qui l'emporta sur l'ogre (AT 311) et Le maître d'école ogre (AT 894, proposition de nouveau classement comme AT 710B). Ces sept contes sont répartis selon leur thème principal dans les trois parties de cette étude : les filles cannibales (AT510A et AT315A), les parents anthropophages (AT450, AT327B+328 et AT327C) et les filles face aux hommes dévorants (AT311, AT894).

Chaque conte est envisagé comme une unité sémantique et toutes ses versions incluses dans le catalogue du conte grec sont analysées puis sont comparées avec le schéma du conte-type donné dans le catalogue international Aarne-Thompson et, dans la mesure du possible, avec quelques versions étrangères. Cette analyse narrative et comparative permet de bien cerner le thème du cannibalisme dans le contexte de chaque conte et de repérer ses manifestations ainsi que les remplacements, omissions, transformations, contribuant de cette façon à une compréhension plus fine. Les hypothèses d'interprétation résultent de cette analyse narrative et comparative et de l'apport de l'ethnologie, de l'anthropologie, du folklore et de la psychanalyse.

Ainsi, nous avons essayé en premier lieu de comprendre ce que le cannibalisme peut signifier dans le développement du destin de chaque héros. Car, si nous acceptons l'idée que les contes décrivent le parcours de leurs héros vers la maturité, décrivent donc un parcours initiatique, nous constatons que le cannibalisme constitue un obstacle dans ce parcours. En second lieu, nous avons repéré des éléments unissant les contes qui ne sont pas toujours perceptibles à première vue.

Ainsi, dans Cendrillon, conte qui traite de la relation entre mère et fille, les soeurs matriphages de l'héroïne sont condamnées au célibat tandis que leur soeur cadette parvient à se marier car elle a su respecter le tabou alimentaire ; de même, loeua Strigla, soeur cannibale, anéantie à la fin par son frère, qui, lui, s'est trouvé une épouse. Nous pouvons donc en conclure que le cannibalisme est à la fois lié au thème du mariage ou, autrement dit, de la maturité sexuelle et à celui de l'inceste. Nous avons aussi pu identifier un autre élément qui lie ces deux contes : Cendrillon et Strigla sont toutes les deux des mangeuses de la chair maternelle et les contes posent alors le thème de la relation primaire de l'enfant avec sa mère-nourrice.

Dans la deuxième partie, nous avons examiné le thème du cannibalisme parental qui apparaît sous diverses formes dans trois contes. Nous avons noté qu'ils ont, tous les trois, malgré leur grande richesse narrative et leurs différents « scénarios » des éléments en commun évoquant la phase orale de la théorie freudienne : frustration orale et son pendant, la suralimentation, abandon et peur d'être dévoré. Ce thème fondamental est élaboré de très nombreuses façons : par exemple, rien que le nom du héros, Petit-Pois-chiche, suggère que l'enfant est consommable, ou citons également l'automutilation de la mère de Poulia et Avgerinos qui, en coupant son sein, en prive ses enfants, ou encore l'ogre menaçant et bien d'autres éléments qui sont analysés en détail. Mais en parallèle à ce thème, on voit aussi réapparaître l'équivalence entre dévoration et acte sexuel, qui est également le thème central de la troisième partie.

Dans cette partie, le cannibalisme est assez clairement lié à la sexualité par le biais de la figure du mari dévorant qui impose des épreuves à sa future épouse. Ce mari terrible se révèle parfois être un beau jeune homme, évolution narrative qui indique la problématique du conte concernant la représentation qu'une jeune fille se fait de la sexualité. On retrouve ce thème un peu plus masqué dans le dernier conte de l'étude, où, au thème de la découverte de l'homme cannibale (maître d'école), se lie le problème du secret et de la discrétion ; et ce secret est probablement en rapport avec la vraie nature du maître d'école, qui semble représenter une figure paternelle.

Sous la diversité morphologique que revêt donc le thème du cannibalisme, nous découvrons une problématique commune qui concerne les relations familiales, le développement sexuel et les fantasmes oraux et incestueux.

Date
  • le mercredi 10 novembre 2004
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