L’essor du capitalisme industriel en Amérique latine est à
l’origine, dès le début du XXe siècle, de profondes transformations
socioéconomiques ayant bouleversé les cadres traditionnels des sociétés
latino-américaines. La prise de conscience de ces changements a conduit à la
formulation de la problématique de la question sociale, comme ce fut le cas en
Europe au XIXe siècle, mais d’une manière spécifique. Il faut tenir
compte de l’histoire politique, économique et sociale propre aux pays
latino-américains, et à la place que ces derniers occupaient dans la division
internationale du travail comme dans le système mondial d’échanges commerciaux.
Dans la même phase historique, les sociétés latino-américaines ont aussi
cherché de nouvelles voies politiques en visant l’élaboration de projets
démocratiques et modernistes. Ces projets ont notamment été le fait d’acteurs
étatiques qui, devant faire face à de nouveaux problèmes sociaux, ont été
conduits à intervenir politiquement dans la régulation des relations
économiques et sociales afin d’en limiter les effets et de réformer les
sociétés. Pendant leur mise en œuvre, ces projets se sont heurtés au pouvoir
politique des oligarchies traditionnelles, entravant dès lors leur réalisation
effective et conduisant nombre de sociétés latino-américaines à l’expérience de
régimes autoritaires et/ou de formes d’instabilité politique. De son côté, la
société civile des pays latino-américains, traversée par le débat autour de la
question sociale, a répondu avec ses propres moyens, notamment par le biais de
mouvements sociaux. Ainsi, question sociale et question politique ont partie
liée et ont conduit divers acteurs sociaux et politiques à réfléchir et à agir
sur les transformations socioéconomiques en cours dans les pays
latino-américains.
Les recherches concernant les sociétés d’Amérique Latine ont permis
l’élaboration de connaissances riches sur la question sociale et la question
politique. Au milieu du siècle dernier, une tradition intellectuelle s’est
forgée à la rencontre de ces deux sphères, représentée aussi bien par les
travaux de Gino Germani sur les effets du projet moderniste sur les
classes sociales et leurs choix politiques en Argentine, que par la
conceptualisation de la marginalidad par José Nun et
Anibal Quijano, tentative d’explication des changements politiques,
économiques et sociaux à partir du matérialisme historique de Marx. Sans
contester les limites de ces travaux, un de leurs apports majeurs a été de
construire un cadre théorique permettant de penser l’interdépendance de la
question sociale et de la question politique. Or, force est de constater qu’à
l’heure actuelle, le relatif cloisonnement des domaines de recherche, sociologie
d’une part, science politique d’autre part, limite la possibilité de penser les
deux sphères comme étant intriquées. Ces journées d’études invitent donc à la
reprise d’un dialogue fructueux entre les deux disciplines permettant de penser
les effets politiques sur la question sociale et réciproquement.