Tous en conviendront, le paysage français de l’enseignement supérieur et de la recherche est en train de bouger rapidement. Des changements d’ordre institutionnel ont déjà posé les bases de modifications profondes en matière de gouvernance des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPCSCP). Le rythme d’évolution des modalités de financement de la recherche publique est de son côté en train de s’accélérer. De fait, l’une comme l’autre de ces réformes majeures ne concernent pas directement l’EHESS, non parce qu’elle entendrait se tenir à l’écart de ces réformes mais au contraire parce qu’elle les a en quelque sorte anticipées.
Nos statuts, tels qu’ils découlent de notre décret statutaire de 1985 — qui ne faisait lui–même que reprendre les spécificités essentielles de notre institution : le pouvoir conféré à l’assemblée des enseignants d’élire les organes gouvernant l’École et sa pleine souveraineté en matière de choix des enseignants — rendent sans effet la plupart des changements institutionnels prévus pour les universités par la loi dite LRU.
Quant au financement sur contrat, nombre de nos équipes parmi les plus dynamiques en font déjà grand usage, sans me semble–t–il que la qualité scientifique et la liberté intellectuelle de leurs travaux en pâtissent. Pour autant, on ne peut faire comme si un tel mode de financement était sans impact aucun sur la recherche elle–même. Hors de toute diabolisation comme hors de tout optimisme béat, ce type de question doit être posé ; nous avons en nous assez de ressource collective pour pouvoir en débattre, vivement s’il le faut mais sereinement.
C’est cette même articulation entre réalité des enjeux et densité du débat que nous devons souhaiter voir se mettre en œuvre dans la discussion qui se poursuivra parmi nous, dans les semaines à venir, autour du double enjeu de la préparation de notre futur contrat quadriennal et de la réponse que nous allons être amenés à proposer à l’appel d’offres du « Plan campus », officialisé le 21 février auprès des présidents d’université par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Il s’agit donc pour nous, au cours des mois à venir, de se mettre en ordre non de bataille ou de marche — ce vocabulaire guerrier est inadapté : nous n’avons pas d’ennemis à vaincre, mais des partenaires à convaincre — mais de discussion et de décision. Je le ferai pour ma part dans l’écoute résolue des arguments de chacun, dans le respect aussi du jeu complexe de répartition du pouvoir entre nos instances.
Toutes parmi elles sont concernées, et seront donc appelées à œuvrer à la construction de ces projets qui, avec des règles du jeu et des modalités formelles différentes, orienteront en profondeur notre avenir. Pour autant, rien ne sera changé au fond quant à l’ambition qui nous anime et quant au sens de notre engagement scientifique : fidèles à la double tradition de la fertilisation croisée entre nos disciplines et de l’enseignement par séminaire, nous continuerons à faire de l’École des hautes études en sciences sociales un lieu d’excellence en matière de recherche certes, d’études doctorales, post–doctorales et désormais de master aussi.
À nous de continuer à faire de cette extraordinaire maison — forgée par tant de grands anciens qui furent eux-mêmes, chacun en son temps, plus d’une fois confrontés à des contextes mouvants — l’outil d’une diffusion, renouvelée mais toujours exigeante, des savoirs en sciences de l’homme dans un monde qui en a d’autant plus besoin qu’il se pense en mesure de s’en passer.