Quiconque suit de loin les évolutions du projet d’extension de l’EHESS à Aubervilliers dont nous débattons entre nous depuis deux ans peut à bon droit éprouver une certaine perplexité, que des articles de presse ironiques ne manquent pas de renforcer. Peut–on sérieusement imaginer que les discussions qui ont cours depuis la rentrée parmi nous n’ont pas d’autre objet que l’échange d’arguments entre les irréductibles du vie arrondissement et ceux qui entendent porter la voix de la science dans les banlieues ? Cette caricature ne reflète en rien ni la difficulté dans laquelle nous nous trouvons, ni les efforts que nous faisons pour leur trouver une issue. La difficulté concerne le télescopage entre le projet de la Cité des Humanités et des Sciences Sociales au nord de Paris dont la réalisation est prévue à l’horizon 2010–2012 d’une part, et l’injonction faite à l’École de rejoindre le site d’Aubervilliers dès la rentrée 2008, afin que soit procédé séance tenante au désamiantage du bâtiment du 54 bd. Raspail. L’ambition d’implanter à Aubervilliers une Cité des Humanités et des Sciences Sociales associant l’EHESS, l’EPHE, la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et d’autres partenaires s’inscrit, pour sa part, dans une vision large du déploiement urbain auquel la capitale est appelée. Les institutions demeureront activement présentes au centre de Paris, mais elles trouveront à Aubervilliers une nouvelle frontière. Adossée à des logements étudiants, enrichie par un pôle documentaire, vivifiée par une école doctorale internationale, résolument tournée, enfin, vers l’exploitation des ressources numériques : la Cité aura vocation en effet à offrir aux chercheurs et aux étudiants les conditions d’accueil et de travail qui permettront aux sciences humaines et sociales en Île–de–France de jouer activement leur partie dans la compétition pour l’excellence internationale. Avec un atout majeur : celui du choix scientifique de ne pas séparer (comme elles le sont le plus souvent) les humanités et les sciences de la société, mais au contraire de renouveler les unes et les autres à travers la pratique constante de l’interdisciplinarité. Ce projet a reçu, de la part du ministère de la Recherche, de la Région, de la Ville de Paris, des collectivités territoriales, un soutien qui réjouit et motive les communautés concernées. Sa validation officielle, désormais acquise, devrait convaincre les sceptiques qu’on est loin d’un exil supposé, encore moins d’un projet de démembrement des sciences humaines et sociales. Certes, il faudra compter avec le temps pour que chacun puisse s’approprier pleinement ce nouvel espace. Mais la conscience que nous avons tous des carences actuelles de l’accueil que nous offrons à nos étudiants, à nos collègues étrangers, aux post–doctorants de plus en plus nombreux qui rejoignent nos centres de recherche aura, à coup sûr, raison de nostalgies par ailleurs bien compréhensibles. Mais que demeurera–t–il de ce projet si, dans les tout prochains mois, ces mêmes communautés sont contraintes de vivre et de travailler dans un site qui n’anticipe encore rien de ce qui deviendra plus tard le territoire de la Cité des Humanités et des Sciences sociales ? Qu’adviendra–t–il des espérances suscitées par la perspective de voir naître ce campus dédié aux sciences humaines et sociales que nous appelons de nos vœux, si l’expérience quotidienne est d’abord celle de l’inconfort d’un lieu isolé, mal desservi par les transports en commun, et cerné par ce qui n’est encore qu’une friche industrielle ? Les personnels — chercheurs et administratifs — s’inquiètent de leurs conditions de vie et de travail. Les élus de la Plaine Saint–Denis eux–mêmes ont fait savoir qu’ils redoutaient l’effet répulsif d’une arrivée prématurée sur un site encore à l’état brut. Les craintes des établissements concernés sont à la mesure des espoirs qu’ils fondent sur la naissance de cette Cité. Rien n’est compromis pour l’instant, et l’on ne peut douter que ceux qui ont donné à ce projet son élan définitif auront à cœur de le protéger des risques majeurs d’enlisement qui sont actuellement devant lui. C’est aussi ce qu’ils doivent entendre aujourd’hui.