Contrôle et contestation - Sociologie des politiques et modes d’appropriation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Afrique du Sud post-apartheid

EHESS, salle Lombard  -  96 bd Raspail  -  75006 Paris

Nicolas Péjout soutiendra sa thèse en présence du jury composé de:

  • Annie Cheneau-Loquay, directrice de recherche au CNRS, Centre d’étude d’Afrique Noire (rapporteur) ;
  • Jean Copans, professeur à l’Université de Paris-V (directeur de thèse) ;
  • Dominique Desjeux, professeur à l’Université de Paris-V (rapporteur) ;
  • Myriam Moussay-Holzschuch, maître de conférences à l’École normale supérieure - Lettres et Sciences Humaines, Lyon ;
  • Souheil Marine, Digital Bridge Manager, Alcatel-Lucent ;
  • Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ehess.

Résumé

Jeune démocratie, l’Afrique du Sud post-apartheid est profondément ambivalente. D’un côté, s’y développent de fortes dynamiques de domination, de contrôle et de reproduction des relations et structures de pouvoir. De l’autre, se manifestent des mouvements de contestation de ces flux et d’altération de l’ordre établi favorables aux dominés. Cette articulation ambivalente de contrôle et de contestation est de plus en plus outillée par les TIC, véritables prothèses techniques et techno-logiques du changement social. L’hypothèse de départ de cette thèse pose que les TIC sont, de manière toute aussi ambivalente, de puissants supports pour l’un et l’autre de ces mouvements. Grâce à une analyse sociologique, économique et politique, empiriquement basée sur le cas sud-africain,
embrassant le régime d’Apartheid et la première décennie démocratique du pays, la conclusion principale est la suivante : telles que les TIC sont promues, utilisées et développées dans les politiques et modes d’appropriation déployés par les acteurs sud-africains considérés ici et bien que le potentiel de celles-ci soit égal pour le contrôle ou pour la contestation, ces outils servent plus le premier que la seconde, du moins pour l’instant compte tenu de l’état de diffusion de ces techniques au sein de la société sud-africaine.

Cette thèse tient les TIC pour un objet de recherche sociologique à part entière, tout en les considérant comme un prisme original de compréhension globale de la société sud-africaine. La démarche analytique est explicitement critique et dynamiste. Elle cherche par ailleurs à banaliser le regard porté sur l’Afrique du Sud. Elle combine une étude des représentations, des modes d’accès aux TIC et de leur appropriation, manifestés par les politiques publiques, par les pratiques des acteurs économiques et de la société civile. Elle s’applique aux télécommunications, à Internet et au multimédia. Les enjeux méthodologiques et déontologiques TIC comme objets et outils de recherche sont également analysés.
Les figures ambivalentes du contrôle et de la contestation portées par les TIC en Afrique du Sud post-apartheid sont explorées dans trois sphères interdépendantes : SouthAfrica.co.za ou la «nouvelleéconomie» ; SouthAfrica.org ou le gouvernement et la démocratie électroniques ; SouthAfrica.net ou la société des réseaux.
SouthAfrica.co.za : il est d’abord rappelé que la «nouvelle économie» est une réalité socio-économique à multiples facettes, difficile à mesurer et que sa nature non-universelle invite à la considérer comme un chemin particulier dans l’économie du développement (chap.1). Les performances du secteur des TIC, déjà manifestes sous l’apartheid, révèlent que les provinces du Gauteng et du Western Cape sont les deux principaux foyers de cette «nouvelle économie» (chap.2). La politique publique sud-africaine d’hyper-capitalisme, nationale, provinciale et locale est marquée par la volonté de multiplier les lieux d’excellence techno-économique (incubateurs, technopoles…) dont l’effet d’entraînement sur l’économie locale est faible (chap.3). Cette difficulté traduit les défis que la «nouvelle économie» doit relever au regard de la durabilité sociale de cette stratégie macro-économique pour le pays. Cette configuration est en effet marquée par un dualisme douloureux, particulièrement dans le contexte sud-africain des «deux économies». Aussi une politique publique de massification de la « nouvelle éconmie » est-elle à l’œuvre. Elle se traduit par la constitution d’un capital humain et d’une main-d’œuvre «adaptés» à la nouvelle économie grâce à une démocratisation de l’accès aux TIC, l’utilisation des TIC à des fins d’éducation et formation et l’ensemble des dynamiques de discrimination économique positive (Black Economic Empowerment). Elle se concrétise également par la spécialisation multi-sectorielle favorable à la création d’emplois à travers les activités suivantes: l’assemblage d’équipement informatique, l’industrie du Business Process Outsourcing offshore, l’industrie des centres d’appel. La dynamique générale est celle d’une sud-africanisation du modèle de «nouvelle économie» (chap.4).
SouthAfrica.org : après avoir rappelé que le gouvernement électronique sud-africain trouve ses racines au cœur du régime d’apartheid, il est montré que les TIC sont un support croissant de modernisation de l’Etat, pour la fourniture de services publics et pour l’entreprise de démocratisation électronique. Ces technologies sont des outils de rationalisation administrative (back office) et de profonde transformation des relations entre administration et usagers (front desk). Elles renouvellent – sans la révolutionner – la démocratie sud-africaine en appuyant les dynamiques de transparence, de consultation et participation et de constitution d’un espace public électronique (chap.5). Les TIC renforcent néanmoins la dynamique de formalisation et de contrôle de la société sud-africaine, à l’image de la nature techno-politique et techno-administrative du régime d’apartheid, véritable ère des control electronics, et grâce à un consortium public-privé du gouvernement électronique. Les TIC sont alors de formidables outils de contrôle et de domination tant dans le secteur privé (industrie minière) que dans la sphère publique. Au service de cette dernière, les TIC accélèrent l’entreprise de formalisation et de construction d’un contrôle administratif panoptique, révélant continuités entre le régime d’apartheid et l’Afrique du Sud démocratique (chap.6). Le modèle de gouvernance du gouvernement électronique sud-africain est articulé autour d’un Etat-consortium, acteur d’une double privatisation, interne et externe, source d’une certaine délégitimation de l’Etat (chap.7). Dans quelle mesure ce modèle est sud-africain ? Dans un ensemble de flux de circulation internationale des modèles de gouvernement électronique, c’est toute la tension entre la volonté politique d’indigénisation notamment grâce aux logiciels libres (champ des stratégies) et l’action publique d'appropriation-endogénéisation qui importe et digère des éléments d’ingénierie institutionnelle étrangère (champ des tactiques; chap.8).
SouthAfrica.net : si la chute du régime d’Apartheid signifie l’assouplissement du carcan identitaire, celui-ci demeure dans les pratiques et les représentations. Son éclatement progressif est outillé par les TIC, sources de flexibilité qui allègent la contrainte identitaire. Une enquête sur la structuration et l’usage des espaces de discussion électronique conclut à l’émancipation identitaire (sociale, sexuelle, «raciale») que ces technologies facilitent, bien qu’elles figent également les appartenances et renforcent la fonction de défouloir de lieux d’échanges parfois très violents et à connotation raciste (chap.9). Cette ambivalence se déploie dans une société fortement inégalitaire, y compris dans sa dimension technologique : comme le montre une enquête réalisée à Soweto, l’Afrique du Sud évolue vers une société en réseaux centrifuge dans laquelle le capital technique-technologique – au sens bourdieusien – structure une «cité des TIC» et doit s’acquérir par un accès qualifié à ces technologies, un apprentissage de leur utilisation et, in fine, leur appropriation la plus complète possible (chap.10).
Ces trois visages de l’Afrique du Sud, analysés de manière complémentaire et à travers le couple ambivalent du contrôle et de la contestation, illustrent le rôle majeur que les TIC jouent dans les processus de changement social et dans les dynamiques de développement humain. Les politiques et modes d’appropriation des TIC en Afrique du Sud révèlent, à bien des égards, que ce pays est un «laboratoire du monde», faisant en cela écho à la nécessité de mener des recherches comparables dans d’autres pays émergents.
Date
  • le lundi 25 juin 2007  de 13h30  à 17h
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