Éditorial de la Lettre de l'École n°5, mars 2006

En janvier dernier, le ministère de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur et la Délégation ministérielle à l'égalité des chances ont publié en commun un appel à projet « Promouvoir l'égalité des chances à l'Université », afin de susciter des initiatives nouvelles, notamment en matière d'accompagnement des jeunes étudiants les plus fragiles. Le renoncement des étudiants intervient en effet, on le sait, dans les deux ou trois premières années d'enseignement supérieur, et il est lié, pour une bonne part, aux incertitudes de l'orientation.

Spontanément, on pourrait penser qu'un tel appel à projet concerne assez peu un établissement comme le nôtre, dédié à la recherche et à la formation de chercheurs de haut niveau dans tous les domaines des sciences sociales. Mais si notre vocation est bien de produire des approches scientifiques de la réalité sociale, cette mission même nous conduit à interroger aussi notre propre positionnement dans la société, en tant qu'institution de recherche et d'enseignement supérieur.

Or si nous réfléchissons à cette question de l'échec étudiant, nous observons qu'à côté des étudiants qui s'inscrivent en DEUG sans avoir identifié un projet professionnel, ni même les centres d'intérêt personnels qu'ils pourraient transformer en ambition professionnelle, un nombre trop important de ceux qui ont une idée précise de ce qu'ils voudraient entreprendre échouent faute d'avoir trouvé, dans un système universitaire trop peu doté en moyens d'encadrement, le type de suivi personnalisé qui aurait pu leur permettre de le faire aboutir. C'est à ce dernier type d'étudiants - qu'on pourrait dire de « vocation en échec » - que l'École pourrait offrir une seconde chance, dans le domaine des sciences sociales, en utilisant un dispositif existant, et qui pourrait être aménagé à cette fin : celui de son diplôme propre.

À intervalles réguliers, nous nous interrogeons sur les voies et moyens aptes à donner une nouvelle vitalité à notre diplôme, qui peut s'enorgueillir d'avoir permis à de grands esprits, ayant vécu à la marge des circuits académiques de formation supérieure, d'entrer dans le monde de la recherche. On sait que le diplôme joue un rôle éminemment précieux dans le processus d'accréditation académique de chercheurs formés sur le tas, dans l'expérience directe du terrain, dans le domaine de l'archéologie, par exemple. Nous envisageons de lui faire jouer également ce rôle pour des professionnels de l'image qui souhaitent engager un parcours universitaire. Il faut certainement continuer à explorer ces voies, sans en exclure d'autres, et surtout en nous appliquant à faire connaître l'intérêt de cette filière qui permet rappelons-le de se présenter aux concours administratifs du niveau de la licence, de s'inscrire au concours de l'agrégation, et de postuler, plus généralement à l'équivalence de la première année du Master (60 crédits).

S'agissant de ces étudiants qui ont quitté l'Université en cours de route, mais qui sont capables (souvent après un passage dans la vie active) de formuler une vraie ambition personnelle de recherche dans un domaine donné, le diplôme de l'École peut leur permettre de renouer avec une trajectoire académique.

Une telle proposition ne peut évidemment concerner qu'un nombre limité de candidats (sans doute pas plus de 30 par an), sélectionnés avec soin, mais auxquels l'École s'engagerait à fournir le suivi personnalisé leur permettant de surmonter l'échec et de réaliser des potentialités humaines et intellectuelles dûment constatées. Est essentiel ici, plus que jamais, le rôle du « tuteur », qui s'engage avec l'étudiant dans ce parcours et l'aide à construire son propre chemin de formation. Ce rôle est, depuis qu'il existe, au coeur du projet de notre diplôme. La situation nouvelle qui nous permet de faire cette proposition tient également à ce que la création du Master a favorisé la multiplication, dans le programme général de l'École, d'un grand nombre d'enseignements généraux, de nature méthodologique notamment, au sein desquels tous nos étudiants de diplôme puisent pour trouver les parcours d'initiation dont ils ont besoin (lectures des fondamentaux des disciplines, formations statistique, apprentissage du traitement des sources historiques, apprentissage des méthodes d'enquête etc..). Cependant, la préparation de ce diplôme, aménagé pour relancer des vocations de chercheurs mises à mal par un premier parcours universitaire manqué, rend nécessaire la mise en place d'un encadrement spécifique, permettant à des étudiants qui ne sont pas forcément des « héritiers » de combler un déficit culturel, de compléter une formation de base, de s'entraîner à l'écriture, de s'initier à l'informatique et d'acquérir la maîtrise de l'anglais. Il importe donc, pour que le projet aboutisse, que nous soient donnés les moyens de constituer une petite équipe d'encadrement, qui pourrait prendre en charge le noyau d'un programme de mise à niveau adapté aux besoins spécifiques de ces étudiants. Nous avons, à cette fin, demandé l'ouverture d'un nombre significatif de postes de moniteurs à l'École, en rappelant au passage que l'établissement, déclaré éligible pour l'accueil de moniteurs, ne reçoit qu'exceptionnellement des postes, faute de pouvoir afficher des enseignements de premier cycle!

En proposant de rénover son diplôme de ces différentes façons, en direction des professionnels en reconversion, mais également en direction d'étudiants de qualité ayant interrompu leur trajectoire universitaire, il me semble que l'École répond à sa mission de formation d'excellence de façon parfaitement conforme à ce qui fit le meilleur de l'École pratique depuis sa création au siècle dernier. Prolonger cette tradition en opérant les innovations rendues nécessaires par les mutations actuelles de l'environnement universitaire est également conforme à la mission de service public assignée à l'École dès sa création, et à la façon dont elle conçoit son rôle dans l'espace actuel de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Date
  • le jeudi 9 mars 2006

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