Rapport d'activité de la mission handicap

EHESS  -  54, bd Raspail  -  75006 Paris
Rapport d'activité de la Mission handicap présenté au Conseil scientifique de l'École des hautes études en sciences sociales le 8 novembre 2005 par Marie Coutant, chargée de mission.


En mars 2005, la Présidente de l'EHESS m'a chargée d'une mission d'évaluation et de prospective sur le dossier handicap, afin de réfléchir à la mise en œuvre des objectifs inscrits au contrat quadriennal. Depuis 8 mois, cette mission a pris trois directions principales :

- Faire un état des lieux des besoins et des obligations de l'Ecole en matière d'accueil et d'accompagnement.
- Concevoir ou examiner des projets qui, sur le plus ou moins long terme, répondraient à ces besoins et ces obligations
- Parallèlement, établir les premiers jalons d'une action originale, non soumise à des impératifs légaux, prenant en compte les particularités et richesses de l'Ecole. Le but n'est pas seulement de mettre en place des réponses logistiques pour l'accueil des personnes handicapées mais aussi d'engager les sciences sociales pratiquées à l'École dans une réflexion sur les questions que posent les handicaps.

Dès le départ, un constat s'est imposé : à part quelques aménagements d'ordre accessoire, l'École n'avait aucune expérience en matière d'accueil de personnes en situation de handicap. De fait, aucune demande particulièrement insistante d'étudiants ou de personnels handicapés n'avait incité l'Ecole à mener une action de fond en la matière. Néanmoins s'abstenir de la mise en place d'un dispositif concernant les personnes handicapées pour le motif d'une invisibilité des ces personnes relève d'un cercle vicieux. En l'absence de service pour les accueillir, les étudiants handicapés sont enclins, voire invités, à s'orienter vers d'autres formations, réputées accessibles.

Sur cette base, ou plutôt sur cette absence de bases, les premières phases de la mission ont consisté à :
- Faire connaissance avec l'Ecole elle-même, son fonctionnement, ses spécificités, ses locaux, ses personnels...
- Contacter les services homologues d'autres établissements de recherche et d'enseignement supérieur, pour se renseigner sur leurs modes de fonctionnement et les actions qu'ils mènent. La loi obligeant depuis 1991 tous les établissements d'enseignement supérieur relevant du Ministère de l'éducation nationale à désigner un responsable des questions liées à l'accueil des étudiants handicapés, la plupart des universités se sont dotées de services plus ou moins importants et compétents. Je dois ici mentionner les conseils et le soutien que m'a apportés le Relais handicap-santé de L'Université Paris 6, particulièrement son chef de service, Mme Poutier. Ce service regroupe 13 personnes qui se consacrent exclusivement aux étudiants handicapés. Créé en 1973, il à été précurseur dans le domaine et il continue de mener des projets d'envergure, comme par exemple le forum des entreprises -- sorte de salon des étudiants handicapés – ou bien l'animation de deux enseignements consacrés aux questions de handicap, validables par les étudiants de premier cycle...
- Avoir une vue générale du tissu associatif très important qui s'organise autour des questions de handicaps. Repérer les formes de revendication et de militantismes qui s'y expriment. Commencer à établir des contacts...
- Prendre connaissance des lois et notamment la dernière en date, celle du 11 février 2005, sur « l'égalité des droits et des chances. Participation et citoyenneté des personnes handicapées » et en étudier les implications.

Je passerai maintenant en revue les principaux domaines sur lesquels à porté ma mission.

1. L' accessibilité physique

Ce dossier est sans doute celui auquel on pense spontanément lorsque l'on parle de handicap [les ascenseurs, les rampes d'accès, les toilettes...]. C'est aussi celui qui implique les investissements les plus coûteux.

Si la loi pose depuis longtemps l'accessibilité des lieux recevant du public comme un impératif, celle de 2005 fixe à 10 ans l'échéance pour une accessibilité totale. Les dérogations seront visiblement réduites, et les contrôles renforcés. Mais tous les décrets d'application n'ont pas encore été publiés.

Pour réaliser un état des lieux, la procédure normale est de s'adresser à la Mairie de Paris qui commet un expert. L'inconvénient de cette démarche est qu'elle exposerait l'Ecole à des obligations d'action immédiate. Dans un premier temps, nous avons décidé de faire une approche qui vaut ce qu'elle vaut, en confrontant les normes architecturales en vigueur, la compétence des services de logistique de l'Ecole, et la bonne générosité de Mme Lucie Fontaine (qui travaille aux Éditions) qui m'a accompagné avec son fauteuil dans les moindres recoins du 105 et du 96. Pour la MSH, j'ai recueilli les explications de l'architecte M. Dujardin. Cette enquête artisanale mais rigoureuse donnera très bientôt lieu à un rapport circonstancié. Nous pouvons tous facilement concevoir que les 2 séries portes du sas d'entrée du 54 sont très difficiles à franchir pour une personne en fauteuil ou déambulateur, mais on réalise moins bien l'obstacle que peuvent représenter par exemple les portes vitrées des couloirs du même bâtiment. Pour une personne mal voyante ou aveugle, les écueils sont différents et tout aussi multiples... Je n'entrerai pas ici dans les détails mais soulignerai les deux questions les plus pressantes :
- La salle de formation à l'informatique du 96 boulevard Raspail, située à l'entresol, au dessus de la salle des Lombard, et qui accueille de nombreux étudiants en cette rentrée de master, notamment pour la formation informatique et internet, est complètement inaccessible. Le problème se pose dès à présent pour une étudiante se déplaçant en déambulateur et qui devra recevoir sa formation à part.
- Un autre sujet d'angoisse, qui préoccupe tout le monde, est la période de désamiantage du 54. La situation d'accueil et de sécurité des personnes handicapées risque d'être fort peu satisfaisante.


A partir de ces indications générales sur les problèmes d'accessibilité physique, il appartiendra aux instances de l'Ecole de décider de l'intervention d'experts, pour mettre en œuvre de travaux et s'engager dans la demande de financements spécifiques...

Pour conclure sur ce point, j'attirerai l'attention sur le fait que mettre un bâtiment « aux normes » n'est pas une fin suffisante en soi. Toute personne porteuse d'un handicap particulier peut mettre en lumière un dysfonctionnement, des obstacles, des impossibilités qui doivent être prises en compte. L'accessibilité physique, c'est une dynamique.


2. L'accessibilité intellectuelle

C'est aussi le cas pour le dossier que l'on pourrait appeler l'accessibilité « intellectuelle » c'est à dire l'ouverture des dispositifs de connaissance à tous.

a. L'accessibilité du nouveau site web

Dans le cadre de la refonte du site web de l'Ecole, cette dimension est très bien prise en charge par la Division informatique, dont l'équipe s'est formée à la question, dont les modalités de résolution technique sont assez complexes. Dans un système de gestion de contenus d'un site web, l'accessibilité concerne non seulement les personnes aveugles et mal voyantes en fonction des outils qu'ils utilisent, mais aussi toutes les personnes affectées par des pathologies paralysantes. Une fois mis au point, le site sera testé par les étudiants handicapés de Paris 6 via le relais handicap santé de cette université, par un accord de mutualisation dans le cadre de l'alliance Paris Universitas.


b. Traductions en langue des Signes française

C'est en direction des personnes sourdes que le projet le plus avancé à ce jour a été mis en place. A partir de décembre, l'École proposera deux cycles de conférences mensuelles en sciences sociales, l'un à Paris, l'autre à Toulouse, qui seront interprétés en langue des signes. Elles aborderont des sujets variés de sciences sociales susceptible d'intéresser le plus grand nombre. Il ne sera donc pas spécifiquement question de problèmes sociologiques, historiques ou linguistiques concernant les sourds exclusivement. Ces rencontres ne sont pas non plus conçues comme une proposition univoque venant des chercheurs vers le public sourd, mais cherche à créer une véritable situation d'interlocution.

A Paris, la première conférence aura lieu le 6 décembre et sera présentée par Pierre Encrevé « A propos des droits linguistiques de l'Homme et du Citoyen ». L'association Gestes (Groupe d'études spécialisé Thérapie et Surdité), qui a une longue tradition de rencontres scientifiques consacrées à la surdité, se joint à la préparation et à la diffusion du programme. Ces conférences auraient dû être traduites par les étudiants-interprètes de l'ESIT (École supérieur d'interprètes et de traducteurs) de l'Université Paris 3, en tant que stagiaires. Mais des réticences d'ordre déontologique se sont exprimées parmi les interprètes professionnels, qui ont estimé que la traduction de conférences de haut-niveau scientifique devait être assurée par des professionnels.

A Toulouse, les rencontres s'inséreront dans le calendrier de manifestation scientifiques déjà programmées, notamment la présentation d'ouvrages récents à la libraire Ombre Blanche. L'association IRIS (Institut de Recherche sur les Implications de la Langue des Signes) particulièrement dynamique dans le domaine éducatif soutient et accompagne la réflexion autour de cette expérience. Une société d'interprètes professionnels, dont l'un des membres est un élève diplômé de l'École, a été contactée dès le départ.

La possibilité de filmer ces expériences et de les diffuser par le canal du web a été mise à l'étude, avec la Division de l'audio-visuel, et à Toulouse la société Websourd. Les problèmes techniques et juridiques sont néanmoins nombreux.

Par ailleurs, l'association Gestes a exprimé un vif intérêt pour développer des collaboration scientifiques avec l'École, qui pourrait prendre la forme d'un atelier « sciences sociales et surdités » dans la continuité du séminaire qu'animait Bernard Mottez à l'École dans les années 1980, et qui reste une référence forte pour les sourds.


c. handicaps et recherches en sciences sociales

Ce dernier type de projet pose plus largement la question de l'articulation d'actions concernant les handicaps aux recherches pratiquées à l'École. Il est en effet souhaitable d'accompagner les démarches de mise en accessibilité par des actions de recherche originales et structurantes. En janvier 2004, Michel Fardeau, professeur au CNAM, a montré que les recherches menées en France sur les questions de handicap ne sont pas moins nombreuses qu'ailleurs, moins sont moins bien structurées1. Il n'est guère de centre qui ne comporte quelques chercheurs travaillant de près ou de loin dans ce domaine, mais ils restent isolés. Ce champ de recherche n'est pas unifié comme le sont les « disability studies » aux Etats-Unis par exemple.

Il faut toutefois rendre justice à l'enquête entreprise par l'INSERM pour recenser les chercheurs travaillant dans ce domaine et qui a mis en place en 1995 un Institut Fédératif de Recherche sur le Handicap, qui constituer le principal réseau de recherche multidisciplinaire sur la santé publique en sciences humaines et sociales. Le Département STIC [sciences et technologies de l'information et de la communication] du CNRS a créé en 2002 un RTP (réseau thématique pluridisciplinaire) sur le handicap travaillant surtout sur la compensation technologique des déficiences motrices et sensorielles. Signalons aussi le plus petit CTNERHI (Centre d'étude et de recherche sur le handicap et les inadaptations) du Ministère de la santé.

Si des projets de recherche doivent se concrétiser à l'École autour des handicaps, il apparaît opportun de mettre en place une commission scientifique qui rassemblerait les initiatives déjà existantes et coordonnerait les projets dans ce domaine.


3. L'accueil des étudiants/personnels

Outre ces séries d'actions générales en matière d'accessibilité, la prise en considération des personnes handicapées exige un accueil individualisé. En l'absence de structures, les étudiants handicapés doivent compter sur la bonne volonté des services administratifs et de leurs enseignants pour répondre à leurs besoins. A l'École, cette situation était gérable étant donné que les étudiants y bénéficient d'un suivi très personnalisé. Néanmoins, en matière de handicap, les actions entreprises étaient isolées, n'étaient pas coordonnées, et perdaient en efficacité et en visibilité. Dans ce domaine, la visibilité des structures d'accueil est particulièrement importante, car elle est rassurante et encourageante pour des personnes dont la démarche de formation est un challenge.

Si, à la suite de cette mission, les instances de l'École décident de mettre en place un service d'accueil, l'expérience de cette mission permet de mettre en évidence les principales actions ce service devra mener et les principales questions qu'il devra résoudre :

-Concernant la prise en charge des étudiants, l'attente des décrets d'application de la nouvelle loi de février met en suspend un certain nombre de questions préoccupantes. Par exemple, la loi affirme le droit à la compensation pour « les actes essentiels de l'existence ». Or, en droit, cette notion renvoie à des actes précis (alimentation, toilette, habillage...) et exclut l'accès à l'information, la communication, ainsi que l'accès aux loisirs et aux pratiques culturelles. Si ces domaines ne figurent pas dans les prochains décrets d'application, on peut très bien imaginer les conséquences que cela représente aussi pour les étudiants, les chercheurs en situation de handicap, qui disposaient jusqu'à présent de dispositifs d'aide.

- Un autre dossier qu'il faudra mener à bien et celui du recrutement de personnels handicapés. Comme pour les entreprises privées, les établissements publics seront désormais soumises à des sanctions financières si le quota de 6% de personnels handicapés n'est pas atteint.

-Une question d'ordre déontologique se pose aussi : comment recenser les étudiants handicapés et répondre aux statistiques du Ministère ? Mon opinion, que je vous soumets, et de ne pas entreprendre ce comptage à partir des formulaires d'inscription (qui serait une sorte de fichage) mais de ne compter que les étudiants qui s'adresseront au service d'accueil sur une démarche volontaire.

- d'autres démarches seront nécessaires, je vous en donne une liste rapide :

- mettre en valeur le diplôme de l'École comme outil d'intégration

- mettre en place, comme nous l'impose la loi, une commission chargée d'organiser l'accueil, l'accompagnement et l'insertion professionnelle des personnes handicapées ;

- favoriser la présence du responsable du service dans les différents conseils, afin que la dimension handicap soient toujours prise en compte ;

- mener des actions de sensibilisation ;

- réfléchir à une forme accessible d'enseignement à distance ;

- plus prosaïquement, la recherche d'un bureau fixe et accessible,...


Conclusion

Je citerai pour conclure quelques lignes du rapport « Les étudiants handicapés dans l'enseignement supérieur » établi par Serge Ebersold en 2003 pour l'OCDE2, qui résume bien les enjeux de l'intégration des personnes handicapées dans l'Université : « En l'absence d'une stratégie d'ensemble engageant la responsabilité de l'établissement, la présence d'étudiants atteints d'une déficience relève plus d'un acte de philanthropie menée occasionnellement en faveur d'étudiants nécessiteux, que d'une tâche éducative faisant partie intégrante des missions de l'établissement. L'absence de stratégie globale formalisée portée par l'ensemble de la communauté universitaire et dotée de moyens nécessaires à sa mise en oeuvre empêche d'intégrer les étudiants handicapés dans les équipes de recherche et d'entrevoir leur devenir comme pouvant être celui d'enseignants-chercheurs. »






1Michel Fardeau « Structuration de la recherche sur le handicap en France », Note d'orientation, janvier 2004, http://www.recherche.gouv.fr/rapport/fardeau.pdf

2 Serge Ebersold, « Les étudiants handicapés dans l'enseignement supérieur », 2003,OCDE, http://www1.oecd.org/publications/e-book/9603142E.PDF

Date
  • le mardi 8 novembre 2005
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