L'École d'économie de Paris : un "Campus de recherche et d'enseignement supérieur"
La constitution de grands ensembles pluridisciplinaires capables de
donner à la recherche et à l'enseignement universitaire français la
visibilité que requiert l'internationalisation croissante des formations
et des échanges scientifiques est une des préoccupations centrales de la loi d'orientation et de programmation dont le projet a été présenté le
29 septembre dernier par le Premier ministre. Des PRES (Pôles de
recherche et d'enseignement supérieur) seront ainsi formés, à
l'initiative de partenaires désireux de renforcer leurs coopérations.
L'Alliance Paris-Universitas, que l'École a établie avec l'École normale supérieure et les universités de Paris III, Paris VI et Paris IX afin de
mutualiser des ressources et de développer des projets communs a précédé
la mise en place de ce dispositif, mais pourrait y trouver sa place
aisément.
À côté de ces PRES, qui pourront prendre des formes juridiques variées,
le projet de loi a également annoncé la mise en place d'une quinzaine de
CRES. Ces "Campus de recherche et d'enseignement supérieur" devront
permettre, lorsque des partenaires d'excellence reconnue sont rapprochés
par une thématique commune et réunis en un même site, de les faire
entrer dans des formes plus intégrées de coopération, inscrites dans la
création d'une fondation reconnue d'utilité publique et dotée par
l'État. Dans un discours du 25 juillet dernier, le Premier ministre a
proposé, au titre des premiers campus mis en place à titre expérimental
(et le seul en SHS), que l'EHESS, l'ENS et les autres partenaires
présents sur le site du boulevard Jourdan (ENPC, Université Paris I,
CNRS, INRA) constituent ensemble l'École d'économie de Paris. Le projet
est assorti d'un fort engagement immobilier : une première dotation de
10 millions d'euros est annoncée, dès 2005, pour entreprendre la
construction du bâtiment qui se substituera aux locaux préfabriqués
provisoirement installés il y a 60 ans...
Il fallait réagir vite à cette annonce inattendue. Nul doute aussi qu'il
fallait saisir la balle au bond et répondre positivement à une
proposition qui ouvre pour tous les établissements concernés, et pour
l'École au premier chef, des perspectives de développement assez
inespérées : aucun des partenaires n'y a évidemment manqué. Nous avons
d'autres raisons d'y adhérer que de préférer simplement que
l'entreprise, puisqu'elle doit se réaliser, se réalise avec nous plutôt
que sans nous. Sur le site Jourdan s'est en effet constitué, au fil des
années, un potentiel de recherche et d'enseignement en économie qui
compte parmi les tous premiers d'Europe et dont l'École est l'un des
pivots en matière de ressources humaines. En y inscrivant son souci
spécifique de l'interdisciplinarité, l'École a également joué un rôle
décisif dans le fait que s'y déploie une économie cultivant des
interactions multiples avec les autres sciences sociales, interaction
qui se concrétisera encore davantage avec la présence sur le site
Jourdan du Centre Maurice Halbwachs réunissant sous la direction d'André
Grelon, les forces du LASMAS et celles du LSS. L'École se doit donc de
continuer à faire prévaloir cette conception ouverte de l'économie, dans
la double direction assignée à la future École d'économie de Paris : le
développement d'un enseignement de très haut niveau, en prise sur les
enjeux de la société et le débat public, d'une part ; la formation
d'économistes "internationalisés", capables de prendre pied dans les
organisations et les lieux de la pensée économique où prévaut de façon à
peu près exclusive un modèle de formation nord-américain, d'autre part.
L'intitulé d'"École" risque cependant de susciter des inquiétudes parmi
nous: sous couvert de ce grand projet, n'est-ce pas une sorte
d'externalisation de l'économie hors de l'École qui s'annonce? Dès que
le projet a été connu, ce sont des questions que nous avons posées. Ou
plutôt que nous avions tout lieu de poser tant que la structure
juridique de l'École d'économie de Paris n'était pas précisée. Le fait
qu'elle prenne la forme d'une fondation présente en effet deux
garde-fous majeurs à tout risque de dérive "autonomiste". En premier
lieu, une fondation n'a pas vocation à disposer d'un corps enseignant
permanent qui lui soit propre. Elle peut doter des chaires d'excellence
; elle peut inviter, pour des périodes de temps limitées, des
enseignants étrangers ; mais les enseignants permanents demeureront
intégrés à leurs établissements universitaires et scientifiques de
rattachement. En second lieu, une fondation ne saurait, comme telle,
avoir une capacité diplômante ; les masters et les doctorats demeureront
placés sous la responsabilité entière des différents établissements
co-habilitants. La fondation offre par contre une souplesse en matière
de gestion et d'appel au mécénat public et privé, dont nous ressentons
souvent la nécessité dans l'exercice de nos activités de recherche et
d'enseignement, et dont nous espérons bien qu'elle pourra, au-delà de
l'École d'économie de Paris, servir les intérêts de l'École toute entière.
Toute initiative qui recompose les structures de notre établissement
comporte, bien entendu, des risques pour la préservation de notre
identité et nous devons maintenir la vigilance sourcilleuse qui nous
permet de nous adapter à des requêtes nouvelles en demeurant nous-mêmes.
Mais le pire qui pourrait nous arriver, dans cette période où le paysage
de la recherche et de l'enseignement supérieur se transforme à grande
vitesse serait sans aucun doute de faire du surplace. Cette École
d'économie de Paris - dont la direction est confiée à notre collègue
Thomas Piketty - est un défi prometteur, non seulement pour les
économistes de l'École, mais pour nous tous. Les votes du Conseil
Scientifique du 4 octobre (à l'unanimité moins une abstention) et du
Conseil d'Administration du 7 octobre (à l'unanimité moins deux
abstentions) ont clairement signifié le choix de le relever.
Haut de page