Les Mardis de la Saturation

EHESS, amphithéâtre François Furet  -  105, boulevard Raspail  -  75006 Paris
Les Mardis de la Saturation, les 9 mars, 23 mars et 6 avril, de 10 h à 15h30

Présentation du cycle « les mardis de la saturation »
Le mot saturation est un mot sur lequel on ne s’arrête pas : comme si ce qu’il servait à désigner allait de soi. Cette transparence postulée lui procure une infinie disponibilité sémantique. Instrument de connaissance dans l’ensemble des disciplines scientifiques, il sert à identifier des états du monde, à repérer des indices, des degrés, des niveaux « de saturation ». Il marque des seuils, repère des courants, des radiations, des zones « de saturation ». Il permet de créer des protocoles expérimentaux, des indicateurs, des axiomatiques. Il s’avère aussi, parfois, un puissant moteur de création artistique.
C’est à ce mot et à aux usages qui en sont faits dans les sciences humaines et sociales et dans la création artistique que ces Mardis de la saturation sont consacrés. Des sociologues, des philosophes, des ethnologues, des musicologues et des architectes dialoguent avec des compositeurs et des musiciens de l’ensemble 2e2m pour provoquer un remue-ménage épistémologique que l’on pourra observer, au long de ces trois journées et en trois sites distincts, aux frontières des sciences de la société et de la création artistique contemporaine.

Saturation 1, mardi 9 mars

Comité scientifique : Denis Laborde, (Centre Marc Bloch, Berlin), Laure Marcel-Berlioz (Cdmc), Yann Rocher (ENSAPM) et Pierre Roullier (ensemble 2e2m).

Présentation par Denis Laborde, anthropologue.

André Richard, compositeur, chef de chœur et musicologue, ancien directeur de l’Experimentalstudio de la Fondation Heinrich-Strobel du Südwestrundfunk Freiburg : "Isola 3, 4, 5 du Prometeo de Luigi Nono : l’écoute saturée ?".
Ici, je ne parle pas en professeur, car c’est d’expérience qu’il s’agit. La situation d’écoute est ma cible. Je puisequelques exemples dans ma propre implication dans des réalisations de Mixtur de Stockhausen (1964) et dans le Prometeo de Luigi Nono (1985). Lorsqu’elle est centrée sur l’énoncé musical, toute écoute se déroule dans unenvironnement stabilisé. Le dispositif rassure l’auditeur et garantit sa disponibilité. Il suffit que la topologie des sources sonores varie, qu’un changement dans la situation d’écoute se produise pour qu’une forme d’anxiété soitgénérée qui peut paralyser, parfois, l’écoute : saturés d’informations, quelques auditeurs capitulent et quittent la salle. Dans Prometeo, la défection se produit à l’instant précis où les Iles 3, 4 et 5 introduisent un changement de paradigme compositionnel dans l’opéra. Mon analyse portera sur cet instant précis. Lors des répétitions, les trois îles, que l’on entend au bout d’une heure trente de musique, sont un moment de magie. L’instant où « quelque chose » se passe, qui transcende la diversité des implications de ceux qui sont là et qui donne sens à l’engagement de l’être humain dans la création musicienne. En concert, au contraire, c’est l’instant où les plus fragiles auditeurs décrochent et s’en vont, renonçant aux soixante minutes restantes. Mon hypothèse est que cette défection vient d’une difficulté à se situer, à ce moment précis, dans l’espace de la représentation. Il sera donc ici question de topologie des sources sonores, du défi que pose la relation d’écoute à la technologie du son, et d’une saturation qui ne vient pas de la quantité mais des modalités de mise en espace du son.

Ramon Lazkano, compositeur :  "Composer pour être entendu ? L’écoute exaspérée".
Etre entendu, c'est établir un pacte avec l'auditeur qui se soumet à l'objet sonore, qui implicitement octroie un champ fondamental de liberté afin qu'une signification possible de la musique puisse avoir lieu. Ainsi, la saturation comme processus d'accumulation des sens potentiels de la musique est inhérent à l'écoute diachronique. L'accumulation des fréquences et des décibels, en atteignant – avec une tendance affichée vers le paroxysme et l'exaspération – des seuils d'irritabilité où le discernement de l'atome sonore vise à être effacé, peut-elle implicitement mener vers l'assourdissement de l'esprit par le refus de cette activité de spéculation ?

Lucia Campos, ethnomusicologue, percussionniste, EHESS : "La ville saturée de musiques : fêtes de rue au Pernambouc".
Défis entre plusieurs tambours, voix criées au microphone, enceintes à très haut volume... La simultanéité sonore d’une fête de rue au Nord-est du Brésil peut évoquer une ambiance chaotique et saturée, à la limite d'une « guerresonore ». Néanmoins, si on écoute de plus près, chaque ensemble musical en mouvement présente une pulsation commune et une dynamique d’appropriation de l’espace publique. Comment l’immersion dans la fête donne sens et repères à une saturation apparente ? Entre situations de terrain vécues à Recife et dans la région de la Zona da Mata, la réflexion portera également sur l'œuvre musicale d'Hermeto Pascoal, compositeur qui développe la densité sonore des fêtes de rue comme une esthétique propre à sa musique.

Pascal Cordereix, chef du service des documents sonores, Bibliothèque nationale de France : "Le dépôt légal : du support à l'Internet : de l'exhaustivité à l'échantillon ?"
Le dépôt légal est l’obligation faite par la loi à tout éditeur, imprimeur, producteur, distributeur, importateur de documents d’en effectuer un dépôt auprès de la Bibliothèque nationale de France (ou des organismes désignés parla loi). Initialement promulgué pour les imprimés en 1537, visant à l’exhaustivité, il s’est progressivement étendu à tous les types d’expression et de création, en intégrant à son champ d’application les nouvelles techniques, au fur et à mesure de leur apparition. Après les livres, les estampes, les partitions, les photographies, les affiches, lesdocuments sonores, audiovisuels et multimédias, la loi du 1er août 2006, dite DADVSI a intégré l'Internet au périmètre de production éditoriale à conserver au titre du dépôt légal. C’est donc ce processus cumulatif du dépôt légal, sans limite temporelle, sans limite d’accroissement que nous voudrions interroger lors de notre intervention.

Jean-Charles François, compositeur, percussionniste et pianiste :  "Nos os, conférence performance".
Le texte portera sur la difficulté à faire face à la complexité du monde, à cause de la saturation d’informations, mais aussi de la trop grande simplicité rationnelle des institutions héritées des deux siècles passés. L’objet de la réflexion concernera tout aussi bien la question du timbre que celle de l’enseignement de l’instrument.

Ponctuation musicale de Franck Bedrossian : "Bossa Nova (2008)", par Pascal Contet, accordéon (ensemble 2e2m) .
Au-delà de son histoire « personnelle » profondément liée à diverses traditions populaires, le timbre de l’accordéon m’a toujours semblé prêt pour d’autres destinations que celles qui lui sont habituellement assignées.Ainsi, en développant certaines techniques de jeu et d’écriture spécifiques, mon désir était en définitive de modifier, puis de subvertir l’identité de l’instrument, et par là de créer une expression ambiguë et instable, une dramaturgie instrumentale. Cette pièce est une commande du Festival Suona Francese et a été créée à Florence, en mai 2008, par Pascal Contet qui en est le dédicataire.

Date
  • le mardi 9 mars 2010  de 10h  à 15h30
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