Éditorial de la Lettre de l'École n°12, avril 2007

Lettre de l’École – N° 12 – avril 2007

D’avril à juin : deux rendez-vous, avec Orhan Pamuk et Jean-Claude Ameisen

Dans la perspective d’une vaste reconfiguration immobilière de l’École, et dans la proximité de plus en plus pressante du désamiantage du 54 bd Raspail, de grands débats sont en cours parmi nous. Ils sont d’autant plus nécessaires qu’ils décideront, nous le savons, de la physionomie de notre établissement pour les prochaines décennies. C’est une raison de plus de nous réjouir que deux rendez-vous exceptionnels nous offrent, dans le même temps, l’occasion de souligner des facettes importantes du projet intellectuel autour duquel les différents cercles constitutifs de notre École se rassemblent.

La première de ces rencontres, sous la forme de deux conférences à l’amphithéâtre du 105 bd Raspail, les 26 et 28 avril, sous l’égide de l’IISMM d’abord, des Cercles de formation ensuite, s’inscrira dans le fil de plusieurs autres manifestations tenues à l’École cette année, qui ont commencé de dessiner la place que les créateurs peuvent occuper dans une école des sciences sociales. C’est là un des axes de développement fort de notre projet d’établissement 2006-2009. La présence parmi nous, comme Directeur d’études invité pour un mois, d’Orhan Pamuk, Prix Nobel de Littérature 2006, lui donne une dimension nouvelle et marquante. De la Maison du silence (1983) à la Forteresse blanche (1985), au Livre noir (1990) et à Neige (2004), Orhan Pamuk livre une fresque puissante des ruptures et des mutations politiques, sociales et culturelles de l’Empire Ottoman et de la Turquie du xixe siècle à nos jours. Il écrit ainsi, sur son mode, une histoire des mondes coloniaux et post-coloniaux, qui articule une réflexion sur la transmission générationnelle des expériences vécues à la mise en œuvre de formes littéraires issues de sources hétérogènes dans l’espace et dans le temps, du modèle romanesque européen à la tradition mystique soufie. Des personnages aux visages multiples hantent la cité tout aussi multiple d’Istanbul, à laquelle Orhan Pamuk a consacré en 2003 un portrait de ville encore inédit en français. Voyageur enraciné, il est l’habitant d’un lieu et du monde.


Le second rendez-vous aura lieu à l’occasion de la 29e édition de la Conférence Marc Bloch, le mardi 12 juin 2007. Son caractère exceptionnel tiendra cette fois au fait que, pour la première fois dans l’histoire de la Conférence, nous accueillerons un savant venu non pas des sciences sociales, mais des sciences de la vie. Jean-Claude Ameisen, médecin et biologiste, est l’auteur de La sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, il est l’un des grands spécialistes mondiaux de l’apoptose, ou mort cellulaire programmée. Ce moment sera l’occasion de marquer avec un éclat particulier notre souhait — également affirmé dans notre contrat quadriennal et lors de nos journées de rentrée, en novembre dernier — que l’École puisse constituer un lieu privilégié de l’interlocution entre les sciences humaines et sociales et les autres sciences.

Interlocution, plutôt qu’interface : pour parvenir à construire une relation d’échange et d’interpellation réciproque, il est nécessaire de tenir à distance le rapport fasciné et paralysant que développent couramment les sciences sociales à l’égard du modèle d’objectivité qu’elles prêtent aux sciences dites "dures". Et il n’est pas moins nécessaire de résister, en même temps, à l’enfermement des sciences sociales dans la position ancillaire que ces mêmes sciences dures sont parfois portées à leur assigner, entre études d’impact et supplément d’âme éthique.

Le dialogue passera notamment, grâce à Jean-Louis Ameisen, par l’interrogation des représentations, et par la mise à jour des agencements et déplacements de langage qui commandent la construction et la reconstruction des objets dont traitent les sciences de la vie : l’origine et l’évolution du vivant, la frontière entre l’animé et l’inanimé, le lien — qui n’est pas de simple dégradation — entre le vieillissement et la jeunesse, etc.

Faisant jouer des variations d’approche de plus en plus subtiles, le biologiste s’emploie à restituer, à travers les recompositions successives de ses objets, la complexité des rapports entre la vie et la mort, au-delà de l’antinomie tracée entre deux états exclusifs l’un de l’autre. Cette complexité s’inscrit – au cœur de la cellule aussi bien que dans la trajectoire lointaine de l’évolution – dans le pouvoir d’autodestruction qui lie indissociablement la vie à la mort. Le retour réflexif sur les logiques de ces variations de point de vue et de ces recompositions d’objets ouvre la question de l’émergence et de la transformation des concepts scientifiques : une question qui est, par excellence, le lieu de l’interpellation mutuelle des sciences humaines et sociales et des autres sciences.

Date
  • le lundi 16 avril 2007
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