La «Cité Manifeste». Essais pratiques d'architecture dans le logement social. Résurgences des trames historiques de la cité ouvrière de Mulhouse dans la «Cité Manifeste»

EHESS, salle des artistes.  -  96, boulevard Raspail 75006 Paris  -  75006

                 En 2001, afin de marquer le cent cinquantième anniversaire de sa création, la société mulhousienne des cités ouvrières, la S.O.M.C.O., confie à l'un des architectes français les plus plébiscités du moment, la construction de soixante et un logements sociaux à Mulhouse. L'exécution de ce projet devait permettre, selon les termes du maître d'ouvrage de : « manifester la question du logement social avec autant de radicalité qu'a ses origines ». Jean Nouvel, décida de réunir, en plus de son équipe, quatre agences d'architecture afin d'ouvrir et de croiser les champs prospectifs. Il s'agissait des équipes suivantes : Shigeru Ban et Jean de Gastines, Anne Lacaton et de Jean-Philippe Vassal, Duncan Lewis associé à l'agence Block et Mathieu Poitevin. Au mois de juin 2005, le chantier est livré à grand renfort de figures politiques et médiatiques. Le mois suivant, le journal Libération titrait sa première page : « Les nouvelles cités radieuses ». Ce titre qui prend l'allure d'un slogan journalistique, n'est pas loin de sonner comme un pamphlet à l'encontre des initiatives peu probantes des politiques urbaines menées depuis maintenant plus de quarante ans. Au-delà de notre attachement à décrire avec précision la transformation d'une figure locale et historique, la « Cité Manifeste » à Mulhouse, nous garderons en mémoire les récents évènements survenus dans les banlieues afin de ne pas isoler nos analyses d'un problème qui se saisit également à d'autres échelles.
                  

                  Quel constat pouvons-nous tirer de l'initiative déployée à Mulhouse ? Si il est prématuré de tirer un véritable bilan de la « Cité Manifeste », il est en revanche possible d'analyser l'abondante litanie de commentaires partisans dont la presse s'est fait l'écho encore récemment, de rendre compte des premiers récits critiques des habitants que nous avons pu rencontrer lors de notre enquête de terrain, et de porter également une réflexion sur les formes urbaines et les partis-pris architecturaux mis en œuvre sur ce chantier, indissociablement lié à l'histoire de la Cité ouvrière. Un court éclairage historique semble ici nécessaire.
                  

                  En 1853, portée par l'essor de l'industrie textile, et l'idéal franc-maçon des grands patrons, la SOMCO, alors toute jeune association patronale, réalisa sur le modèle anglo-saxon des cités-jardins – celui de Manchester notamment – la construction de deux cents logements en accession à la propriété et destinés aux ouvriers des filatures. L'idée alors soutenue par ce projet, relayée par les préoccupations hygiénistes et morales de l'époque, était le contrôle de la main-d'œuvre en la fixant et en l'éloignant de lieux de regroupements et des rassemblements syndicaux. Travaillé en marge d'un projet qui se prétendait purement philanthropique, l'avènement de la Cité ne fût pas moins une révolution inédite dans l'art de produire de nouvelles dynamiques sociales – la façon d'être entre soi et avec les autres – de s'ouvrir aux transformations possibles du bâti et de son environnement immédiat. Cette réécriture incessante  des formes bâties qu'imposa l'évolution de la cellule familiale et l'arrivée de différentes vagues de travailleurs immigrés, à conduit la Cité ouvrière à se réinventer constamment et à éviter ainsi des effets d'usure et d'obsolescence prématurés.
                 La particularité de la planification urbaine, quadrillée selon le principe : une rue / un passage, créa un effet ex nihilo propice à l'apparition de phénomènes d'auto construction et d'autogestion de la part des habitants jusqu'alors complètement inédits.
Un siècle et demi plus tard, dans le prolongement des trames historiques de la Cité ouvrière, s'élève la « Cité Manifeste » : un ensemble de logements atypiques qui ouvre de nouveau une brèche très critique à l'encontre de l'uniformisation du secteur par les promoteurs. Le résultat de ces soixante et un logements « sociaux », réalisés par les cinq équipes d'architectes susmentionnées, est surprenant de par l'offre pléthorique de caractéristiques supplémentaires qu'ils proposent : plus d'espaces et plus de grandes surfaces au sol, de lumière, de grandes surfaces vitrées, de grandes hauteurs sous plafond. Les logements intègrent un surcroît de modularités et de transversalités, de configurations susceptibles de favoriser un sentiment de sociabilité et plus d'espaces réinscriptibles.
               

                 La réflexion sur la question « sociale » du logement occupera une place importante dans notre séance. À partir de notre enquête de terrain, de l'éclairage socio-historique de notre invitée Ginette Baty Tornikian, sur les modèles des cités-jardins, nous tenterons de rompre définitivement avec les effets des pouvoirs publics consistant à subordonner la notion de « social » à celle de « logement » pour en faire un « ready-made » classificatoire visant à masquer la diversité des pratiques des usagers.
Force est de constater pourtant que cette catégorie appelée : « logement social », malgré son caractère polymorphe, renvoie à une logique commune, pour qui souhaite s'y atteler, qui est celle de répondre à des coûts de production drastiques.  Afin d'éviter les effets dévastateurs d'une standardisation massive imposés par les promoteurs, bon nombre d'architectes doivent se résoudre à entrer en dissidence face à une logique marchande lourde, déjouer certaines normes et catégories afin de pouvoir répondre conjointement à une exigence de qualité architecturale dans des coûts de production raisonnables. Nous ne manquerons pas de soulever  cet aspect des choses qui renvoie directement au postulat de notre atelier, à savoir : « La responsabilité politique n'est-elle réservée qu'à ceux qui nous gouvernent? »

                   À partir des descriptions et des identifications du rôle de chacun des acteurs, de l'architecte, des acteurs politiques, des habitants, nous aborderons – entre autres – la question formelle des transformations intervenant dans l'espace domestique, la question des récits et des modes d'appropriation des lieux par les habitants, les effets d'imposition de la standardisation dans le logement « social », la question de la pérennité des logements en incluant la notion de patrimonialisation et d'identification (ou pas) à la propriété. Nous tenterons de voir également dans quelle mesure la notion « d'espacement » entre les habitations à conduit à une réflexion pratique sur l'aménagement de l'espace social partagé, un arbitrage nouveau entre l'espace « privé » et l'espace « public ».

Antonella Di Trani / Miguel Mazeri


  • le lundi 3 avril 2006 à 15h
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