Ecritures de l'histoire, écritures de la fiction

Bibliothèque nationale de France - Petit Auditorium  -  Quai François Mauriac  -  75013 - Paris (75706 Paris Cedex 13)
Colloque international organisé par le Centre de recherches sur les arts et le langage (EHESS-CNRS) en collaboration avec le Groupe de Recherche en Narratologie de l'Université de Hambourg (RFA)

Les 16, 17 et 18 mars 2006

Présentation et programme

(For the English version, see attachment)

Les récits sont assurément « innombrables » (Barthes), et chacun se fait une idée, ne fût-ce qu'intuitivement, des facteurs qui permettent de distinguer entre récit et non-récit. Nombreuses sont les études qui formulent le sine qua non du récit ou, s'appuyant sur des critères et des thèses plus ou moins explicites, dessinent le champ narratif selon tel ou tel schéma. Parmi ces schémas de découpage interne du domaine du narratif, la distinction entre récit factuel et récit de fiction est sans doute une des mieux ancrées dans la conscience commune.
L'analyse du récit, la narratologie, a longtemps eu tendance à assimiler récit et fiction, au point de rabattre parfois la première question sur la seconde, « Qu'est-ce qu'un récit ? » devenant ainsi « Qu'est-ce qu'un récit de fiction ? » Certes, le récit fictionnel partage avec les récits non-fictionnels différents traits, formels ou autres. Et on a vu dans les analyses, sous l'influence du post-structuralisme et d'autres évolutions, un certain effacement des frontières entre le récit de fiction et le récit factuel, voire l'émergence d'un « panfictionisme » au cœur du discours dans toutes ses formes. Mais en même temps, par leurs usages comme par leur statut épistémique, les deux types de récits semblent se différencier l'un de l'autre : des arguments pragmatiques tout autant que sémantiques semblent donc plaider en faveur d'une ségrégation étanche entre les deux domaines.
Est-ce que la narratologie – par quoi on entendra ici une narratologie élargie, susceptible de prendre en compte la pragmatique et la sémantique des textes et leur fonctionnement mental –, peut nous aider à avancer dans ces questions ? Peut-elle nous aider à sortir du dilemme qui ne nous laisse le choix qu'entre segrégationnisme absolu et panfictionalisme ? Le présent colloque fait le pari qu'effectivement les outils de l'analyse narrative sont susceptibles de faire avancer la question, et ce de façon décisive.
Mais ceci exige en préalable qu'on s'interroge sur la validité du schème dualiste qui oppose le récit de fiction comme tel au récit factuel comme tel. D'abord, si les récits sont « innombrables », ceci vaut pour les récits de fiction et les récits factuels. Ensuite, on rappellera avec Paul Veyne que les régimes de croyance sont eux aussi, sinon « innombrables », du moins multiples, autrement dit que les façons dont les humains adhèrent à leurs récits déclinent de multiples programmes de vérité.
On en conclura deux choses. En premier lieu, le récit factuel « pur » et le récit de fiction « pure » ne désignent sans doute que des idéalisations des deux pôles extrêmes de la pragmatique des régimes de croyance et des programmes de vérité. La dichotomie est utile pour déterminer la tension polaire qui structure les modes d'adhésion aux récits. Mais elle ne saurait remplacer une interrogation plus fine, car dans les récits tels que nous les connaissons, c'est entre ces deux positions extrêmes que les histoires se déploient. Ensuite, il convient de déplier ces deux figures massives que sont le récit factuel et le récit de fiction. Sous chacune de ces dénominations se cachent en effet de multiples genres et nombre de situations historiques qui dessinent une figure autrement plus complexe.
Parmi les multiples types d'écriture narrative que la notion de récit factuel prétend recouvrir, le récit historiographique (ou plutôt les récits historiographiques, car les pratiques d'écriture historiographique sont nombreuses) est sans doute celui qui s'est trouvé le plus constamment couplé avec le champ des récits de fiction. Ceci se vérifie au niveau des pratiques d'écriture effectives, des dénominations génériques (du roman historique à l'histoire romancée) comme de la réflexion théorique (de l'opposition aristotélicienne à l'assimilation post-moderne). D'où l'intérêt d'en faire l'objet d'une interrogation proprement narratologique.
Plusieurs réponses, déjà formulées par les théoriciens, narratologues ou non, s'offrent comme point de départ pour ce débat. L'historien, collectionneur de signifiants plutôt que de faits, met en œuvre un processus de signification qui produit un « effet de réel » (Barthes) ; la mise en intrigue opérée par l'écriture de l'histoire souligne le caractère littéraire de l'historiographie (White) ; les traits descriptibles du discours narratif se manifestent de manière comparable dans le récit fictionnel et dans le récit factuel, d'où un certain « gradualisme » dans la transition entre les deux (Genette) ; la distinction histoire/discours, fondatrice pour la première narratologie des années soixante, est peu opératoire pour la plupart des historiens, et l'analyse du récit historique se doit de prendre en compte un troisième niveau – celui de la référence –, les « indices de fictionnalité », pour leur part, instaurant un « séparatisme » entre le récit fictionnel et le récit d'histoire (Cohn) ; la « référence croisée » assure le lien entre la fiction et l'histoire tout en permettant de distinguer l'expérience fictionnelle et l'intentionnalité historique (Ricœur).
Ces pistes de réflexion (et d'autres encore) s'offrent au chercheur, mais elles sont loin de clore le débat. Certes, l'étude des rapports et des différences entre les deux formes du récit sur le plan formel constitue un des éléments essentiels de l'analyse. Mais comme déjà indiqué, il importe de prendre en compte les questions de la sémantique et de la pragmatique du discours narratif – questions déjà abordées, d'ailleurs, par des chercheurs qui travaillent dans le domaine. Certains opposent volontiers les récits fictionnels aux récits référentiels. Mais la narratologie des mondes possibles, par exemple, nous rappelle que le récit fictionnel possède lui aussi ses modes de référenciation, sans que la fiction soit censée calquer un quelconque « réel » du monde extra-textuel ; corrélativement, l'histoire « contrefactuelle » n'est pas une démarche étrangère aux historiens (Si l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche n'avait pas été assassiné à Sarajevo…). Dans une autre perspective, le récit fictionnel serait une « feintise » ou une « simulation » du récit factuel ; mais suffit-il alors de considérer, sur le plan pragmatique, que le récit historiographique peut être réduit à l'exemplification d'un acte de langage « sérieux » ? Ou encore, si certains récits se distinguent par des « indices de fictionnalité », y aurait-il des « indices de non-fictionnalité » caractéristiques des récits d'histoire ? Et enfin, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que la fiction n'est pas l'apanage du seul récit littéraire, mais qu'elle contribue aux processus cognitifs pré-discursifs. La liste des questions à débattre reste encore ouverte…
Pour Aristote, la poésie traite du général, de ce qui aurait pu avoir lieu, tandis que la chronique traite du particulier, de ce qui a effectivement eu lieu. Mais, si l'on accepte l'idée avancée plus haut, à savoir que le récit factuel « pur » et le récit fictionnel « pur » sont une idéalisation, la distinction est largement de principe, car nonobstant la condamnation du statut dégradé de toute imitation du réel prononcée par Platon, les récits, dans des proportions variables, restent à cheval entre le factuel et le fictionnel. Ce constat est capital pour la compréhension de tout récit sur les plans historique et culturel, bien sûr, mais aussi, face à l'hybridation inévitable du discours narratif dans toutes ses formes, pour toute tentative de dégager et de mettre en perspective les critères et les méthodes d'une narratologie susceptible d'éclaircir les récits fictionnels et les récits historiques sans perdre de vue leurs spécificités respectives.

John Pier Jean-Marie Schaeffer Philippe Roussin


Programme

Jeudi 16 mars

  • 9h30-10h : Arrivée des participants
  • 10h-10h15 : Ouverture du colloque

Président : Jean-Pierre Morel (Université de Paris III)

Séance plénière :
  • 10h15-11h : Wolf Schmid (Université de Hambourg) : « Les événements et l'histoire dans les récits factuels et fictionnels »
  • 11h-11h30 : Dmitrij Kalugin (Université Européenne de St. Petersbourg) : « Between Literature and History : Social Functions of Russian Biographical Narratives of the Nineteenth Century »
  • 11h30-12h : Andréas Pfersmann (CRAL / CNRS) : « Le statut de la documentation notulaire dans la fiction historique »
  • 12h-12h30 : Sabine Schlickers (Université de Brême) : « Le récit gauchesque : la quadrature du triangle, ou la complexité narrative d'un genre populaire de l'histoire nationale »
Pause midi : 12h30-14h30

Président : Michel Murat (Université de Paris IV)

Séance plénière :
  • 14h30-15h15 : Jean-Marie Schaeffer (CRAL, CNRS / EHESS) : « Rapporter, imaginer, inventer »
  • 15h15-15h45 : Ioana Vultur (CRAL) : « Fictions contrefactuelles »
  • 15h45-16h15 : Natal'ja Movnina (Université d'État de St. Petersbourg) : « Landscape as a Way of Historisation of Narrative »
16h15-16h30 : Pause
  • 16h30-17h : Birte Lönneker (Université de Hambourg) : « Automatically Generating Fictional and Factual Narratives »
  • 17h00-17h30 : Matthias Aumüller (Université de Hambourg) : « Cognitivism – A Common Basis for Fictional and Historiographic Narratology ? »

Vendredi 17 mars

Présidente : Annick Louis (Université de Reims / CRAL)

Séance plénière :
  • 9h30-10h15 : Claude Calame (EHESS) : « Entre vraisemblance, nécessité et fabrication poétique : historiographie grecque classique »
  • 10h15-10h45 : Tomáš Kubíček (Académie Tchèque des Sciences – Prague/Brno) : « Structure of History : Between Immanence and Accident. The Contribution of Czech Structuralism to the Concept of Historiography »
  • 10h45-11h15 : Ondřej Sládek (Académie Tchèque des Sciences – Prague/Brno) : « Between History and Fiction : On the Possibilities of an Alternative History »

11h15-11h30 : Pause

Présidente : Agnès-Derail Imbert (Université de Paris IV / ENS)

  • 11h30-12h : Daniel Fulda (Université de Cologne) : « 'A = N' -> récit factuel ? Critique de la distinction entre narration fictionnelle et narration historique chez Genette »
  • 12h-12h30 : John Pier (Université de Tours / CRAL) : « L'hybridation de l'histoire et de la fiction chez Melville »
  • 12h30-13h : Valery Timofeev (Université de St Petersbourg) : « The Reader as Focalisator »

Samedi 18 mars

Président : Alexandre Prstojevic (INALCO / CRAL)

Séance plénière
  • 10h-10h45 : Michael Scheffel (Université de Wuppertal) : « 'Narratologie fictionnelle' et 'narratologie historiographique' ? Réflexions à partir de quelques thèses de Hayden White et de Paul Ricœur »
  • 10h45-11h15 : Stéphane Michonneau (Université de Poitiers) : « Entre fictionnel et factuel : Los Sátrapos de Occidente d'Antonio Ramos Martin »
  • 11h15-11h45 : Françoise Lavocat (Université de Paris VII) : « Le récit de catastrophe (XVIe et XVIIe siècles) : entre fiction et histoire »
  • 11h45-12h15 : Sabine Lang (Université de Mayence) : « L'histoire vraie : écritures d'un paradoxe dans l'historiographie et la littérature françaises du XVIIIe au XXe siècles »

Pause midi : 12h15-14h15

Président : Heinz Raschel (Université de Tours)

Séance plénière
  • 14h15-15h : Meir Sternberg (Université de Tel Aviv) : « Fiction, History and Modern Bias : A Review from Antiquity »
  • 15h-15h30 : Marielle Macé (CRAL, CNRS) : « 'Les formes élémentaires de la périodicité' : tempos et écriture de l'histoire chez Sartre »
  • 15h30-16h : Sergueï Fokine (Université d'État de l'Économie et des Finances de St Petersbourg) : « Les chemins de la narration de soi : Carnets de drôle de guerre et les débuts du projet autobiographique de J.-P. Sartre »
Pause : 16h-16h15
  • 16h15-16h45 : Jean-Louis Jeannelle (Groupe Fabula) : « Littérature et sens du réel »
  • 16h45-17h15 : Sebastien Veg (EHESS / CRAL) : « Brecht et la configuration inachevée de l'histoire : La Bonne Âme du Setchouan et La résistible ascension d'Arturo Ui »










Date
  • du jeudi 16 mars 2006 à 09h30 au  samedi 18 mars 2006 à 17h30
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