Les membres du Centre d'études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (EHESS/CNRS), ont la profonde tristesse de faire part de la disparition de leur collègue Altan GOKALP, directeur de recherche au CNRS, décédé au Surinam le 20 avril dernier. Avec lui disparaît une grande figure universitaire des études turques en France, mais plus encore un homme d'action qui s'est voué sa vie durant à favoriser la compréhension, parfois difficile, entre son pays natal et son pays d'adoption.
Né en 1942 à Izmir (Turquie), il s'était installé en France dans les années 1960. Après avoir obtenu le diplôme de Sciences Po, il s'était orienté vers les sciences sociales. Il a été le fondateur de l'anthropologie du domaine turc en France, avec sa thèse très remarquée, Têtes rouges et bouches noires, parue en 1980 (Société d'ethnologie, CNRS, 1980) dans laquelle il étudiait une confrérie tribale de l'Ouest anatolien, les Tchepnis, et notamment son système de parenté. Après de multiples travaux sur la population turque émigrée en Europe, qu'il contribua à mieux faire connaître, il était entré au CNRS au Laboratoire d'ethnologie de Nanterre. Après plusieurs années passées en Allemagne, il avait rejoint en 2002 l'équipe d'études turques et ottomanes du CNRS et de l'EHESS, à laquelle sa forte personnalité et sa vaste culture apportèrent beaucoup. Dans le cadre de l'EHESS, il a animé pendant trois ans avec François Georgeon, un séminaire interdisciplinaire d'études turques (SIDET) destiné en priorité aux étudiants de M1. Il s'est aussi beaucoup investi à l'IISMM, où, depuis plusieurs années, il organisait avec la complicité de Gilles Ladkany et de Timour Muhidine un passionnant séminaire intitulé « Traduire la Turquie ».
Traduire la Turquie : la formule résume bien l'action et l'ambition de l'homme et du chercheur, pour lequel la connaissance scientifique devait déboucher sur une meilleure compréhension des sociétés et des cultures. Infatigable passeur, il s'est consacré sa vie durant à mieux faire connaître le monde turc. Chargé de mission à l'Inspection générale de l'éducation nationale, il a fait admettre le turc parmi les langues d'enseignement dans les collèges et lycées. Il a multiplié articles scientifiques et interventions dans les médias sur la religion et les cultures populaires, sur la parenté et sur les identités, sur les littératures traditionnelles et modernes du domaine turc. Traducteur remarquable, il a permis au public français d'accéder à la grande épopée de Dede Korkut, et contribué à mieux faire connaître Yachar Kemal, dont il avait traduit un des derniers romans, Regarde donc l'Euphrate charrier le sang (Gallimard, 2004)
Parmi ses principaux ouvrages, on peut retenir, outre sa thèse citée plus haut : La Turquie en transition, Maisonneuve & Larose, 1986 (ouvrage collectif) ; Yachar Kemal, entretiens avec Alain Bosquet, Gallimard, 1992 ; Le livre de Dede Korkut : récit de la Geste Oghuz, Gallimard, 1998 (prix de l'UNESCO) (avec Louis Bazin) ; Sacrifices en Islam, espaces et temps d'un rituel, 1999, CNRS Editions (avec Pierre Bonte et Anne-Marie Brisbarre), et, plus récemment, un beau livre, Harems, mythes et réalités, Ouest-France, 2008.