Appel à contribution
Cahiers d’études africaines – Numéro spécial sur le tourisme «Mise en tourisme de la culture : réseaux, représentations et pratiques»
L’Afrique, souvent considérée comme le berceau de l’humanité, tient aujourd’hui une place de choix dans l’imaginaire des touristes en quête de racines, d’authenticité et de chaleur humaine. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, le continent africain a enregistré ces dernières années la plus forte augmentation de fréquentation touristique au monde, même si l’Afrique ne représente que 4 % du volume touristique mondial.
Depuis les Indépendances, le tourisme en Afrique a été appréhendé par les chercheurs tour à tour comme une forme de néo-colonialisme, un facteur de développement, comme destructeur des sociétés traditionnelles locales, puis comme facteur de paix et de rencontre entre les peuples. La figure néo-coloniale du touriste blanc, riche et puissant, tant décriée par les chercheurs des années 1970, laisse de plus en plus la place à celle du touriste culturel, solidaire ou équitable, respectueux et en quête de rencontre avec l’autre. Le « tourisme culturel » représenterait une forme de panacée : il permettrait la rencontre, l’écoute, une meilleure compréhension mutuelle et un développement économique tout en sauvegardant les coutumes et les expressions artistiques locales.
Si les pratiques artistiques et culturelles constituaient jusqu’à présent une animation périphérique au sein du système touristique, elles représentent aujourd’hui un pôle d’attraction prioritaire pour un nombre croissant de destinations. Les animations folkloriques ponctuelles au sein de circuits touristiques confinant le touriste dans un rôle de spectateur, ou de « voyeur » cèdent la place à de nouvelles pratiques s’affichant volontiers participatives. Le tourisme culturel se développe aujourd’hui autour de communautés de pratiques. Les écoles et les stages de danse ou de musique se développent dans toute l’Afrique de l’Ouest. Sous l’impulsion d’ONG, d’associations ou d’individus, les villages organisent aussi bien des ateliers artisanaux (sculpture, poterie, tissage, bogolan) que des « séjours d’immersion » pour des occidentaux désireux de comprendre et d’aider la communauté villageoise (tourisme solidaire, tourisme humanitaire) ou encore des stages de guérison et de développement personnel en adaptant leurs cultes initiatiques pour ce nouveau public.
Comment se constituent ces nouveaux imaginaires touristiques et comment se matérialisent-ils dans la performance touristique ? En quoi participent-ils au contexte de la rencontre entre touristes et autochtones ? Des enquêtes in situ devraient nous permettre de mettre en lumière des pratiques touristiques où les frontières entre le travail et la détente sont brouillées stratégiquement par des voyageurs désirant se défaire de leur statut de consommateur passif. Ces stratégies participatives pourraient révéler à la fois un idéal communautaire, voire des « conversions » à l’africanité, et un désir d’inverser les anciennes hiérarchisations (« apprendre des africains »), mais également les tensions à l’œuvre entre la réalité des processus de marchandisation, inhérents au système touristique, et la tentative d’occultation de ces rapports marchands par les acteurs pour créer et préserver l’enchantement de la rencontre touristique.
Au-delà de cette zone d’interaction touristique, il est aujourd’hui nécessaire de prendre en considération les flux et les circulations d’images, d’idées, de sons et d’individus qui conditionnent et rendent possible la rencontre. Sur quels supports sont aujourd’hui véhiculés les imaginaires de l’Afrique ? Ces imaginaires, qui constituent le moteur du déplacement, se développent à travers la consommation de produits culturels (world music, festivals, films documentaires, reportages diffusés par les médias, comme la revue Géo ou la radio RFI, campagnes humanitaires) prenant parfois la forme de stéréotypes standardisés circulant à l’échelle planétaire. Mais le déplacement touristique repose également sur l’activation de réseaux au sein desquels les diasporas africaines semblent jouer un rôle prépondérant. Des réseaux transnationaux se structurent à travers les circulations d’artistes ou d’opérateurs culturels qui contribuent non seulement à l’internationalisation d’expressions artistiques africaines mais également, en retour, à des flux touristiques échappant aux tour operator conventionnels.
Ce numéro spécial qui traite du tourisme culturel en Afrique (les Antilles et l’Amérique noire ne sont pas exclues), avec une approche multidisciplinaire, privilégiera les articles qui réussiront à montrer de quelles manières les pratiques touristiques, même marginales, sont des vecteurs de représentations de l’autre et de quelles manières se constituent les réseaux qui permettent de les véhiculer. L’étude des acteurs « charnières » (personnages, institutions, diasporas, etc.) dans la constitution de ces réseaux paraît particulièrement pertinente pour comprendre de quelles façons ces représentations et ces imaginaires sont construits et diffusés. Concernant la construction des représentations, il serait intéressant de savoir si celles-ci dépendent du type de pratiques touristiques : un tourisme dit « culturel » naît-il ou engendre-t-il des représentations différentes par rapport à d’autres formes de tourisme (tourisme de « masse », tourisme sexuel, tourisme d’affaires, tourisme sportif…) ?
Ce numéro s’intéressera également à la réciprocité des représentations. Il s’agira de montrer si le touriste est perçu par l’autochtone uniquement comme une ressource ou un pourvoyeur potentiel d’une « carte de séjour » ou si le regard que les visités portent sur les touristes (en fonction de leur provenance et de leurs pratiques) se révèle plus complexe et ambivalent. Nous souhaitons également mettre l’accent sur les représentations et les imaginaires des touristes africains en Afrique, et des touristes ne provenant pas de pays anciennement colonisateurs sur ce continent (par exemple touristes chinois ou japonais). Quelles sont les spécificités des représentations de la diaspora pouvant concevoir leur séjour touristique en Afrique comme un retour au pays de leurs ancêtres mythiques (tourisme de racines, route de l’esclave impulsée par l’Unesco) ?
Il serait également intéressant de montrer, à travers des articles transversaux, les spécificités de l’Afrique en terme de représentations et de pratiques touristiques en comparaison avec d’autres destinations. Il pourrait par exemple être envisagé un article (d’un ou de plusieurs auteurs) provenant d’une enquête multisites montrant les similitudes et les différences des événements culturels (tels que les festivals) en termes de pratiques, de représentations et d’objectifs dans plusieurs pays africains et non-africains.
Les propositions d’articles en français ou en anglais sont à envoyer du 15 au 30 octobre 2007 à la rédaction des Cahiers d’études africaines : Cahiers-Afr@ehess.fr